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DE POMPÉI

vers la plaine par un sillon étroit et aride, qu’interrompaient çà et là des mamelons dentelés et des broussailles sauvages. Au bas s’étendait un terrain marécageux et malsain, et l’œil fixe d’Arbacès distinguait une espèce de forme vivante se baissant de temps à autre pour recueillir quelques plantes grossières qui y croissaient.

« Oh ! dit-il tout haut, je ne suis pas le seul dans cette dure veillée. La magicienne du Vésuve est à l’œuvre. Étudie-t-elle aussi les astres, comme le vulgaire le pense ? a-t-elle jeté un charme sur la lune, ou cueille-t-elle, comme sa position semble l’annoncer, des plantes vénéneuses dans le marais ? Regardons bien cette compagne de mon expédition laborieuse Quiconque essaye d’apprendre sait qu’aucun côté de la science n’est méprisable. Il n’y a de méprisable que vous, victimes grasses etbouffies, esclaves de la luxure, fainéants de la pensée, vous qui ne cultivez que le domaine des sens, et qui croyez que son pauvre sol produit également le myrte et le laurier. Non, le sage seul est fait pour jouir. À nous seulement la vraie volupté est accordée, lorsque l’esprit, le cerveau, l’invention, l’expérience, la pensée, le savoir, l’imagination, tout contribue, comme autant de sources, à former la vaste mer des sens… Ione ! »

En prononçant ce dernier nom, ce nom plein de charmes, Arbacès sentit que ses pensées prenaient un cours plus profond. Il avait fait quelques pas ; il s’arrêta, il ne releva pas ses regards. Une ou deux fois il sourit joyeusement, et quittant cette place où il avait veillé, pour se rendre à sa couche, il murmura : « Si la mort est si proche, je veux pouvoir dire au moins que j’ai vécu… Ione sera à moi.

» Le caractère d’Arbacès était un de ces tissus rares et inextricables, où l’âme elle-même qui y réside se trouve embarrassée et confuse. Chez lui, fils d’une dynastie tombée, débris d’un peuple abattu, régnait cet esprit d’orgueil mécontent qui n’abandonne pas les êtres d’un ordre supérieur, lorsqu’ils se sentent bannis inexorablement de la sphère où leurs ancêtres ont brillé, et à laquelle la nature, non moins que la naissance, leur donnaient des droits. Cet esprit est dépourvu de bienveillance ; il est en lutte avec la société ! il ne voit que des ennemis dans l’espèce humaine. Mais ce sentiment n’était point accompagné ici de sa suivante ordinaire, la pauvreté : Arbacès possédait des richesses égales à celles des plus nobles Romains ; ce qui le mettait à même de satisfaire des