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LES DERNIERS JOURS

de la tombe ; à voir ses cheveux noirs qui retombaient en masse autour de lui, sa robe lugubre longue et dénouée, ses bras qu’il étendait du haut de la tour, ses yeuxétincelants où perçait sa joie sauvage, on eût dit un homme moitié prophète et moitié démon.

Après ce coup d’œil jeté sur la ville et l’Océan, il reporta ses regards sur les vignes et sur les prairies de la riche Campanie. La porte et les murs de la ville, anciens et d’une construction semi-pélasgienne, ne paraissaient pas en borner l’étendue. Des maisons de campagne, des villages, s’élevaient de chaque côté sur les flancs du Vésuve, dont la montée n’était pas alors aussi escarpée ni aussi rapide qu’à présent : car, de même que Rome elle-même est bâtie sur un volcan éteint, de même et avec une égale sécurité, les habitants du Midi occupaient toute la partie verte et couverte de vignes d’un volcan dont ils croyaient le feu intérieur désormais en repos. À partir de la porte, on apercevait une longue rue de tombeaux de diverses grandeurs et d’une architecture variée. C’est par là que, de ce côté, on arrive encore à la ville. Audessus de toutes choses apparaissait le sommet nuageux de la terrible montagne, dont les ombres plus ou moins noires découvraient des cavernes tapissées de mousse et des rochers de cendres attestant les dernières explosions, et qui auraient pu en prophétiser de nouvelles à ses habitants, si les hommes n’étaient pas aveugles.

Il eût été difficile de deviner en ce temps et en ce lieu pourquoi les traditions environnantes s’étaient revêtues d’une couleur si sombre, pourquoi dans ces plaines si souriantes, à plusieurs milles à la ronde, de Baïa à Misène, les poëtes avaient imaginé de placer le seuil de leurs enfers, leur Achéron et leur Styx fabuleux ; pourquoi dans ces champs Phlégréens[1], alors ornés de joyeux pampres, ils voyaient le théâtre de la bataille des dieux et des géants pour la victoire du ciel, si ce n’est que le sommet nu et aride rappelait à leur esprit les traces de la foudre de Jupiter.

Mais ce n’était ni le faîte escarpé du volcan paisible, ni la fertilité des campagnes le long des coteaux, ni la mélancolique avenue de tombeaux, ni les délicieuses maisons de plaisance d’un peuple efféminé et voluptueux, qui arrêtaient les yeux de l’Égyptien. D’un côté du paysage, le mont Vésuve descendait

  1. Arides et brûlés.