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DE POMPÉI

brouillard dont la forme s’épaississait en s’approchant des arbres voisins. La ville paraissait ce qu’elle nous paraît après dix-sept siècles, la cité de la mort[1].

L’Océan lui-même, cette mer sereine et sans marée, était presque aussi paisible, si ce n’est que de son sein profond s’exhalait, adouci par la distance, un faible et régulier murmure, comme la respiration de son sommeil. Cette mer embrassant, pour ainsi dire, de ses bras recourbés la terre verte et belle,semblait presser avec volupté les villes qui dormaient sur ses bords, Stabie[2], Herculanum et Pompéi, ces filles chéries des flots.

« Vous sommeillez, s’écria l’Égyptien en jetant un regard sinistre sur les cités, l’orgueil et l’ornement de la Campanie : vous sommeillez !… Plût aux dieux que ce fût du sommeil éternel de la mort ! Telles que vous êtes, joyaux de la couronne de l’empire, telles ont étéles villes du Nil. Leur grandeur a péri ; elles dorment parmi les ruines ; leurs palais et leurs temples sont devenus des tombes, le serpent se glisse sous l’herbe de leurs rues, le lézard habite leurs salles solitaires. Par cette loi mystérieuse de la nature, qui humilie l’un pour exalter l’autre, vous vous êtes élevées sur leurs ruines : toi, orgueilleuse Rome, tu as usurpé la gloire de Sésostris et de Sémiramis ; comme une voleuse, tu t’es revêtue de leurs dépouilles. Et ces villes, esclaves de ton triomphe, que je vois à mes pieds, moi, le dernier fils des monarques oubliés, je les maudis, ces villes, réservoirs de ta puissance et de ton luxe qui pénètrent partout. Le temps viendra où l’Égypte sera vengée ; le temps viendra où le coursier du barbare aura son râtelier dans la maison d’or de Néron ; et toi, qui as semé le vent de la tempête, tu recueilleras la moisson de l’ouragan et de la désolation. »

Pendant que l’Égyptien prononçait une prédiction que la destinée a accomplie d’une manière si terrible, jamais image de plus sinistre et plus solennel augure ne s’offrit aux rêves du peintre et du poëte. Les lueurs du matin, qui communiquent même leur pâleur aux joues de la beauté, donnaient en quelque sorte à ses traits majestueux et nobles les couleurs

  1. Quand sir Walter Scott visita la cité de Pompéi, en compagnie de sir William Gell, il ne fit guère entendre d’autre exclamation que celle-ci : « La cité de la mort ! la cité de la mort ! »
  2. Stabie n’était déjà plus une cité, mais un lieu de plaisance pour les villas des gens riches.