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LES DERNIERS JOURS

Le Grec, en qui surabondait la vie, éprouvait pour cet animal cette tendresse mêlée d’étonnement qui naît des contrastes. Il passait des heures à suivre des yeux sa marche rampante et à moraliser sur sa construction. Joyeux, il méprisait, triste, il enviait son sort.

Regardant en ce moment, du lieu où il était couché, cett grosse masse qui s’avançait sans avoir presque l’air de se mouvoir, l’Athénien murmura en lui-même :

« L’aigle laisse tomber une pierre de ses serres, croyant briser cette coquille ; la pierre écrase la tête d’un poëte. Telle est l’allégorie du destin. Étrange créature ! tu as eu un père et une mère ? Peut-être, dans les temps passés, tu as eu aussi une compagne ? Tes parents aimaient-ils ? As-tu aimé toi-même ? Ton sang paresseux circulait-il avec plus de force lorsque tu rampais à côté de ton amante ? Étais-tu capable, d’affection ? Souffrais-tu loin d’elle ? Sentais-tu sa présence ? Que ne donnerais-je pas pour connaître l’histoire de ton sein écaillé, pour contempler les ressorts de tes faibles désirs ! pour remarquer la différence, aussi légère qu’un cheveu, qui sépare ta joie de ta douleur ? Il me semble que, si Ione était présente, tu le saurais. Tu la sentirais venir comme un air plus léger… comme un rayon de soleil plus chaud. Je t’envie pour le moment, car tu ignores qu’elle n’est pas là. Et je voudrais être comme toi tout le temps que je ne puis la voir. Quel doute, quel pressentiment me tourmente ! Pourquoi ne vient-elle pas ? Des jours ont passé sans que j’aie entendu sa voix ! Pour la première fois, la vie me pèse. Je ressemble à un homme demeuré seul dans un banquet quand les lumières sont éteintes, quand les fleurs sont flétries. Ô tone ! si tu pouvais savoir combien je t’aime !

Glaucus se vit interrompu dans ses amoureuses rêveries par l’entrée de Nydia. Elle s’avança, de son pas léger et prudent, par le tablinum de marbre. Elle traversa le portique et s’arrêta devant les fleurs qui bordaient le jardin. Elle tenait à la main un arrosoir, et elle versa de l’eau sur les fleurs altérées, qui semblaient se réjouir de son approche. Elle se pencha pour respirer leur odeur, elle les toucha d’une façon timide et caressante. Elle chercha, le long de leurs tiges, si quelque feuille morte ou quelque insecte rampant ne déparait pas leur beauté. Pendant qu’elle allait ainsi de fleur en fleur, avec un air empressé et joyeux, de la manière la plus gracieuse, on l’aurait prise pour la plus aimable nymphe de la déesse des jardins.