Page:Lytton - Les derniers jours de Pompéi, 1859.djvu/126

Cette page n’a pas encore été corrigée
114
LES DERNIERS JOURS

pour la fraîcheur de ses émotions ; il demande la beauté, c’est vrai, mais la beauté de l’esprit et de la pensée. Tel est l’amour, Ione, qui est digne de vous être offert par un homme froid et austère. Vous me croyez austère et froid. Tel est l’amour que je me hasarde à déposer sur votre autel. Vous pouvez l’accepter sans rougir.

— Son nom est l’amitié, » répliqua Ione.

Sa réponse était innocente ; cependant elle semblait un reproche, comme si elle avait en vue les desseins secrets de l’interlocuteur.

« L’amitié ! répondit Arbacès avec véhémence ; non ! C’est un mot trop souvent profané pour l’appliquer à un sentiment si sacré ! L’amitié, c’est un lien qui unit les fous et les débauchés ! L’amitié, c’est le nœud qui attache les cœurs frivoles d’un Glaucus et d’un Claudius ! L’amitié ! non ! c’est une affection de la terre, un symbole d’habitudes vulgaires, de sordides sympathies ! Le sentiment dont je parle vient des astres[1]. Il participe de ce désir mystique et ineffable, que nous ressentons à les contempler ; il brûle, et cependant il purifie. C’est la lampe de naphte dans un vase d’albâtre, répandant les parfums qui l’embrasent, mais ne brillant qu’au travers des matières les plus pures. Non, ce n’est pas de l’amour, ce n’est pas de l’amitié qu’Arbacès éprouve pour Ione. Ne donnez pas de nom à ce sentiment ; la terre n’a pas de nom pour lui ; il n’appartient pas à la terre. Pourquoi le rabaisser par des épithètes et des raisonnements terrestres ? »

Jamais Arbacès ne s’était encore avancé si loin, mais il sondait le terrain pas à pas. Il savait qu’il proférait un langage qui, bien qu’étrange et hardi, pouvait, dans ce temps de platonisme affecté, résonner aux oreilles de la beauté sans qu’on y attachât un sens très-précis il lui était permis, en le tenant, d’avancer ou de reculer, selon l’occasion, dans ses alternatives d’espérance ou de crainte. lone trembla sans savoir pourquoi. Son voile cachait ses traits, et masquait une expression qui, si elle avait été aperçue de l’Égyptien, l’aurait découragé et courroucé au delà de toute mesure. Dans le fait, il ne lui avait jamais autant déplu ; les harmonieuses modulations de la voix la plus persuasive qui ait jamais déguisé des désirs profanes semblaient fausses à ses oreilles ; toute son âme était encore remplie de l’image de Glaucus, et

  1. Platon.