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DE POMPÉI

ceux de Claudius ou de Lépidus ; il affecta de les mettre sur la même ligne, comme des êtres d’une race inférieure, des insectes éphémères, de vrais papillons, moins l’innocence et la grâce. Parfois il faisait légèrement allusion à quelque débauche de son invention, où il les mettait de compagnie ; parfois il les signalait comme les antipodes de ces natures éthérées, à l’ordre desquelles appartenait Ione. Aveuglé à la fois par l’orgueil d’Ione et peut-être par le sien, il ne soupçonnait pas qu’elle eût déjà aimé, mais il craignait qu’elle n’eût éprouvé pour Glaucus ces vagues prédispositions qui conduisent à l’amour. Il se mordait secrètement les lèvres de rage et de jalousie, lorsqu’il se prenait à réfléchir sur la jeunesse, les brillantes et séduisantes qualités du formidable rival qu’il prétendait écarter.

Quatre jours après la scène que nous avons décrite à la fin de notre premier livre, Arbacès et Ione étaient assis ensemble.

« Vous portez votre voile chez vous, dit l’Égyptien ; ce n’est pas aimable pour ceux que vous honorez de votre amitié.

— Mais pour Arbacès, répondit Ione, qui en effet avait ramené son voile sur ses traits afin de cacher que les pleurs avaient rougi ses yeux, pour Arbacès, qui ne s’occupe que de l’âme, qu’importe que le visage soit voilé ?

— Si je ne m’occupe que de l’âme, reprit l’Égyptien, montrez-moi donc votre visage, c’est là que je la verrai le mieux.

— L’air de Pompéi vous rend galant, dit Ione en s’efforçant d’être gaie.

— Pensez-vous donc, belle Ione, que c’est seulement à Pompéi que j’aie appris à apprécier votre valeur ? »

La voix de l’Égyptien trembla ; il s’arrêta un moment, puis il reprit :

« Il y a un amour, belle Grecque, qui n’est pas seulement l’amour de la jeunesse inconsidérée ; il y a un amour qui ne voit pas avec les yeux, qui n’entend pas avec les oreilles, mais chez lequel l’âme est amoureuse de l’âme. Le compatriote de vos ancêtres, ce Platon, nourri dans une caverne, rêvait d’un tel amour… Ses disciples ont cherché à l’imiter, mais c’est un amour que la foule ne comprend pas. Il n’est fait que pour les hautes et nobles natures ; il n’a rien de commun avec les sympathies et les nœuds d’une basse affection ; les rides ne le révoltent pas ; la laideur ne le repousse pas. Il demande la jeunesse, c’est vrai, mais il ne la demande que