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LES DERNIERS JOURS

dépendance du caractère d’Ione, il s’était acquis par son adresse un secret et puissant empire sur ses volontés. Elle ne pouvait le renvoyer ; parfois elle en eut le désir, mais elle n’en eut jamais la force : elle était fascinée par son œil de serpent. Il la retenait, illa dominait par la magie d’un esprit accoutumé à commander, à se faire craindre. Ne connaissant ni le caractère réel ni l’amour caché de son tuteur, elle éprouvait pour lui le respect que le génie ressent pour la sagesse, et la vertu pour la sainteté ; elle le regardait comme un de ces anciens sages qui acquéraient la connaissance des mystères de la nature par le sacrifice des passions de l’humanité. À peine le considérait-elle comme un être appartenant, ainsi qu’elle, à la terre. C’était à ses yeux un oracle à la fois sombre et sacré ! Il ne lui inspirait pas de l’amour, mais de la crainte. Sa présence ne lui était rien moins qu’agréable. Il assombrissait les plus brillants éclairs de son esprit. On eût dit, à son aspect imposant et glacial, une de ces hautes montagnes qui jettent une ombre sur le soleil ; aussi, ne pouvant pas empêcher ses visites, elle demeurait passive sous une influence qui faisait naître dans son sein, non pas la répugnance, mais une terreur muette et glacée.

Arbacès était alors résolu à mettre en œuvre tous ses artifices pour posséder un trésor ardemment convoité par lui. Il était animé encore par l’orgueil de sa victoire sur le frère d’Ione. Depuis l’heure où Apœcides avait succombé sous les voluptueux enchantements de la fête que nous avons décrite, son pouvoir sur le jeune prêtre n’avait fait que s’accroître et lui paraissait assuré. Il savait qu’il n’y a pas de victime plus fortement enchaînée qu’un jeune homme ardent qui cède pour la première fois à l’esclavage des sens.

Lorsque Apœcides se réveilla, avec la lumière du jour, du profond sommeil qui avait succédé au délire de l’étonnement et du plaisir, il se sentit à la vérité honteux, terrifié, égaré ; ses vœux d’austérité et de célibat résonnaient à son oreille, sa soif de sainteté, à quelle source impure ne l’avait-il pas apaisée ? Mais Arbacès connaissait bien les moyens d’assurer sa conquête. De la connaissance du plaisir, il conduisit le jeune prêtre à celle d’une mystérieuse sagesse. Il découvrit à ses yeux étonnés l’obscure philosophie du Nil, et l’initia à ses secrets tirés des astres et à son étrange alchimie, qui, à une époque où la raison elle-même se confondait avec l’imagination, pouvait bien passer pour la connaissance