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LES DERNIERS JOURS

n’a presque plus rien de terrestre, et que la musique exprime si bien ; cet enivrement qui épure et élève, qui agit, il est vrai, sur les sens, mais qui leur communique quelque chose de l’âme.

Elle était particulièrement formée pour fasciner et dominer les hommes lesmoins ordinaires et les plus audacieux ; elle faisait naître deux passions : celle de l’amour et celle de l’ambition. On aspirait à s’élever en l’adorant : il n’était donc pas étonnant qu’elle eût complètement enchaîné et soumis l’âme ardente et mystérieuse de l’Égyptien, dans laquelle s’agitaient les passions les plus terribles. Sa beauté et son esprit l’enchaînaient à la fois.

S’étant mis à part du monde ordinaire, il aimait cette hardiesse de caractère qui savait aussi s’isoler au milieu des choses vulgaires. Il ne voyait pas, ou ne voulait pas voir que cet isolement même éloignait encore plus Ione de lui que de la foule. Leurs solitudes étaient aussi lointaines que les pôles, aussi différentes que le jour et la nuit. Il était solitaire avec ses vices sombres et solennels ; elle, avec sa riche imagination et la pureté de sa vertu.

Il n’était donc point étrange qu’Ione eût captivé l’Égyptien ; il était bien moins étrange encore qu’elle eût subjugué soudainement et irrévocablement le brillant esprit et le cœur généreux de l’Athénien. La vivacité d’un tempérament qui semblait réfléchir les rayons de la lumière, avait précipité Glaucus dans les plaisirs. En s’abandonnant aux dissipations de son temps, il n’obéissait pas à des instincts vicieux ; il n’écoutait que la voix de la jeunesse ; il ne suivait que les lois d’une heureuse organisation ; il illuminait de l’éclat de sa nature chaque abîme, chaque caverne qui se trouvait sur ses pas. Son imagination l’éblouissait, mais son cœur n’était pas corrompu. Avec plus de pénétration que ne lui en supposaient ses compagnons, il vit que leur dessein était d’exploiter sa fortune et sa jeunesse ; mais il n’estimait l’argent que comme un moyen de se procurer les joies de la vie, et la sympathie de l’âge était le seul lien qui l’unît à eux. Il sentait, il est vrai, l’impulsion de plus nobles pensées et de plus hautes espérances que celles qui naissent des voluptés satisfaites ; mais le monde était une vaste prison ayant pour geôlier le souverain impérial de Rome, et les mêmes vertus qui, dans les libres jours d’Athènes, l’auraient rendu ambitieux, le condamnaient, dans l’esclavage de la vertu, à l’inaction et à l’oisiveté. Car, dans cette civilisation contre nature et