Page:Lytton - Les derniers jours de Pompéi, 1859.djvu/105

Cette page n’a pas encore été corrigée
93
DE POMPÉI

lui demandai à voir la fille. Je la trouvai comme vous la voyez maintenant, à peine plus petite et plus jeune en apparence. Elle avait un air patient et résigné, les mains croisées sur sa poitrine, et les yeux baissés. Je m’informai du prix. Il était raisonnable, et je l’achetai sur-le-champ. Le marchand l’amena à la maison et disparut aussitôt. Songez, mes amis, à mon étonnement lorsque je m’aperçus qu’elle était aveugle. Ah ! ah ! un rusé coquin que ce marchand ! Je courus porter plainte aux magistrats, mais le drôle avait déjà quitté Pompéi. Je fus forcée de revenir chez moi, et de fort mauvaise humeur, je vous l’avoue : la pauvre fille en ressentit les effets, mais ce n’était pas sa faute si elle était aveugle ; elle l’était depuis sa naissance. Peu à peu, nous nous réconciliâmes avec notre marché. Elle n’avait pas, assurément, la force de Staphyla, et elle était de peu d’utilité dans la maison. Mais elle savait trouver son chemin dans la ville, comme si elle possédait les yeux d’Argus ; et, lorsque nous vîmes un matin qu’elle nous rapportait une poignée de sesterces qu’elle avait gagnés à vendre des fleurs cueillies dans notre petit jardin, nous pensâmes que c’étaient les dieux qui nous l’avaient envoyée. Depuis ce temps-là, nous la laissons aller où elle veut, remplissant sa corbeille de fleurs, qu’elle tresse en guirlandes, selon la mode thessalienne, ce qui plaît aux jeunes gens : le grand monde a pris de l’affection pour elle, car on lui paye ses fleurs bien plus cher qu’aux autres bouquetières ; et elle rapporte tout ce qu’elle gagne à la maison, ce qu’aucune autre esclave ne ferait. C’est pour cela que je travaille moi-même, mais ses profits me mettront bientôt en état d’acheter une autre Staphyla. Il est probable que quelque voleur thessalien aura enlevé la jeune aveugle à d’honnêtes parents. Outre son adresse à composer des guirlandes, elle a le talent de jouer de la cithare pour accompagner ses chants ; c’est encore d’un bon rapport ; et enfin, dernièrement. mais ceci est un secret.

— Un secret ! s’écria Lydon ; êtes-vous devenue un sphinx ?

— Sphinx, non. Pourquoi, sphinx ?

— Cesse ton commérage, bonne maîtresse, et apporte-nous à manger. J’ai faim, dit Sporus.

— Et moi aussi, » ajouta le morose Niger en aiguisant son couteau sur la paume de sa main.

L’amazone se rendit à la cuisine, et revint quelques instants après avec un plateau surmonté de gros morceaux de viande