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les plus saintes des îles ; mais Délos veut ton premier hommage. C’est elle qui reçut le dieu des poëtes au sortir du sein de sa mère ; c’est elle qui l’enveloppa de langes et l’adora la première. Ainsi que les Muses dédaignent le poëte qui ne chante pas les eaux de Pimplée, ainsi Phébus dédaigne celui qui peut oublier Délos. Délos recevra donc aujourd’hui le tribut de mes vers ; et toi, dieu du Cinthius, applaudis au poëte qui n’aura point négligé ta nourrice.

Délos, terre ingrate il est vrai, battue des vents et des flots, voit sur ses rives moins de coursiers que de plongeons. Inébranlablement fixée dans la mer Icarienne, dont les vagues amoncelées rejettent leur blanchissante écume sur ses bords, elle semble n’être faite que pour servir de retraite à ces hommes errants qui s’arment contre les habitants de l’onde[1]. Toutefois, quand les filles de l’Océan et de Téthys[2] se rassemblent chez leur père, toutes, sans envie, cèdent le pas à Délos. La Corse, bien qu’elle ne soit pas sans honneur, la Corse ne marche qu’après elle, ainsi que l’aimable Sardaigne, ainsi que l’île aux rivages prolongés qu’ont peuplée les Abantes, et celle qui, pour avoir accueilli Vénus au sortir de l’onde, a toujours ressenti ses bienfaits. La force de ces îles est dans leurs tours : celle de Délos est dans Apollon ; quel rempart est plus ferme ? Souvent le souffle impétueux de Borée renversa les murs et les pierres ; mais un dieu n’est jamais ébranlé. Heureuse île, tel est, à toi, ton gardien !

Mais au milieu de la vaste carrière que ta gloire ouvre à mes chants, quelle route suivrai-je pour te plaire ? Dirai-je comment un dieu terrible, d’un coup du trident que

  1. J’aurais pu rendre cet endroit d’une manière plus concise, mais la version n’aurait point répondu aux expressions poétiques du texte.
  2. C’est-à-dire les îles que les mythologues disent allégoriquement être filles de l’Océan et de Téthys, donnant alors le nom de Téthys à la Terre même, quoique ordinairement Téthys passât pour être fille de la Terre. (Schol. Homer., ad Iliad. V, v. 201.)