Page:Lyriques grecs - traduction Falconnet.djvu/505

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le lit argenté de l’Achéloüs ; trois fois tu passas tous les fleuves de la terre ; trois fois tu revins au centre de la plus charmante des îles ; trois fois enfin tu retournas t’asseoir au bord du puits de Callichorus, couverte de poussière, sans avoir mangé, sans avoir bu, sans être entrée dans le bain…

Mais pourquoi rappeler ce qui coûta des larmes à Cérès ? Parlons des lois aimables qu’elle a données à nos villes ; parlons des jours où, enseignant à Triptolème le plus beau des arts, elle montra la première à moissonner les épis, à en former des gerbes, à les faire broyer sous les pieds des taureaux. Ou plutôt encore, pour effrayer à jamais les impies, disons comme elle livra jadis le déplorable fils de Triopas aux tourments de la faim.

Les Pélasges[1] habitaient encore à Dotium. Ils y avaient consacré à Cérès un bois délicieux, planté d’arbres touffus, impénétrables au jour ; lieu charmant, que la déesse aima toujours à l’égal d’Éleusis, de Triopion et d’Enna. Là, parmi les pins et les ormes altiers, les poiriers s’enlaçaient aux pommiers, et du sein des rocailles jaillissait une onde pareille au cristal le plus pur.

Mais quand le ciel voulut retirer ses faveurs aux enfants de Triopas, un funeste projet séduisit Érésichton. Il prend vingt esclaves, tous à la fleur de l’âge, tous semblables aux géants, et capables d’emporter une ville. Il les arme de haches et de cognées, et court insolemment avec eux au bois de Cérès.

Au milieu s’élevait un immense peuplier qui touchait jusqu’aux astres et dont l’ombre, à midi, favorisait les Dryades. Frappé le premier, il donne en gémissant un triste signal aux autres arbres. Cérès connut à l’instant le

  1. Ancien peuple répandu dans la Grèce, mais dont la principale habitation était en Thessalie, où ils avaient bâti, entre autres, la ville de Dorium. Il se fit dans la suite une émigration de ce peuple sous la conduite de Triopas, père d’Érésichton, qui alla fonder la ville de Cnide en Carie : voilà pourquoi le poëte ajoute : « N’habitaient point encore Cnide. »