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sir Charles Hartley, le grand ingénieur qu’en 1806 la commission de navigation du Danube avait appelé, tout jeune, à rendre à la navigation le grand fleuve, qui depuis l’origine des temps se perdait dans les marais. Il s’était d’abord installé dans un abri de pêcheurs sur pilotis ; toute sa vie, lutte de trente années contre la fièvre, contre les obstacles, contre la nature, avait été vouée à cette grande œuvre et maintenant, à cette même place où il n’y avait jadis que quelques huttes misérables, il y avait une ville et un port, et les plus grands bateaux suivaient ce bras du fleuve que franchissaient seules autrefois des barques de faible tonnage, et je regardais, — avec quelle émotion ! — cet homme, vieillard aujourd’hui, qui pouvait s’endormir, sa bonne tâche accomplie, après avoir appelé à la vie ce grand fleuve inutilisé depuis l’origine du monde, l’avoir délié pour ainsi dire, — et il me semblait qu’il ne pouvait y avoir de vie plus noblement remplie.

Je ne pensais guère alors que, plus tard, je verrais, vivant de leur vie, des chefs coloniaux pétrir de leurs mains créatrices des terres en friche pour en faire des rizières, des vallées endormies pour en faire des artères de vie, donner le coup de baguette qui met en œuvre un coin du vaste champ offert à l’activité de