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de mon bâton. Mais, à ma grande surprise, je ne vis toujours personne, rien ! — Alors, je commençai d’avoir peur, et j’accélérai le pas. Un peu plus loin, un second hem ! se fit entendre, comme un coup de canon. Et je ne voyais toujours rien. Ma peur alla alors croissant et je ne savais plus comment j’avançais ; il me semblait que mes pieds ne touchaient plus la terre. Quand j’arrivai à l’extrémité de la prairie, au moment où je posais la main sur l’échalier, pour le franchir, il me sembla qu’une autre main, une main invisible, s’y posait en même temps que la mienne, mais si forte et si lourde, que je crus que tout allait disparaître sous terre, l’échalier, les deux piliers de granit et moi avec. Je ne sais comment j’arrivai jusqu’à mon lit ; mais le lendemain matin, je m’y retrouvai tout habillé et avec une bonne fièvre.

Hé ! bien, tout cela est naturel, n’est-ce pas, Ann Drane, n’est-ce pas, Ewenn, et s’explique le plus facilement du monde ?

— Je crois pouvoir affirmer, répondit Ewenn, que maître Pipi n’avait pas joué aux cartes, à Kerarborn, pendant une grande partie de la nuit, sans boire passablement de cidre et de vin, quelque peu de cognac ou de rhum aussi, sans doute, si bien que sa tête était échauffée, que son imagination fermentait, et son oreille tintait et prêtait des voix mystérieuses, des imprécations terribles, aux arbres, aux buissons et aux moindres roseaux agités par le vent.