Page:Luzel - Veillées bretonnes, Mauger, 1879.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pénétraient difficilement, le jour : jugez de l’obscurité qui y régnait, la nuit. En m’engageant dans ce chemin, qui avait du reste assez mauvaise réputation dans le pays, parce qu’on le disait hanté par toutes sortes d’esprits méchants, je vis devant moi, dans les ténèbres, poindre deux lumières. Je les pris pour des vers luisants, et je continuai, toujours chantant et sifflant, et ne m’inquiétant de rien. À mesure que j’en approchais, les lumières allaient grandissant, et bientôt elles m’apparurent comme deux forts cierges, tenus par des mains invisibles. Ceci commençait à me paraître assez singulier : cependant, je n’avais pas peur, et j’avançais toujours, les yeux sur les lumières. Mais, voilà que, tout à coup, les chevaux refusent d’aller plus avant, et quand je les excitais, quand je les frappais, ils se cabraient, soufflaient des naseaux, avec grand bruit, et voulaient retourner en arrière. J’eus beau jurer, menacer et crier que celui qui était venu là espérant me faire peur et m’empêcher de passer, perdait sa peine, et que je passerais quand même ; rien ne répondait, et les lumières brillaient toujours à mes yeux, et paraissaient même me narguer. Me voilà bien embarrassé. Il fallait absolument passer par là, car il n’y avait pas d’autre chemin qui conduisît au champ où je voulais aller. Je commençai d’avoir peur, et je délibérai avec moi-même si je retournerais sur mes pas, ou forcerais le passage. La pensée