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— Vous ne nous aviez jamais parlé de cela, Fancho ; mais qu’entendiez-vous donc de si effrayant ?

— J’entendais quelquefois un vacarme de tous les diables ; il me semblait qu’on remuait et déplaçait tout, dans la grange, les instruments de labour, pioches, pelles, fourches, herses, charrues, charrettes, et jusqu’aux vieux coffres remplis d’avoine et d’orge. D’autres fois, la machine à battre elle-même se mettait en mouvement, et j’entendais alors les chevaux qui frappaient du pied le sol, à la roue du manège, et le fouet du conducteur qui claquait, et c’était un vacarme à réveiller un mort. Quand je regardais et aventurais la tête hors du lit, par les plus beaux clairs de lune, je ne voyais rien d’extraordinaire, et chaque chose était à sa place.

— C’est aussi ce que j’entends, et rien n’est changé, reprit Ar Floc’h. Dans les premiers temps, en me levant le matin, mon premier soin était de m’assurer si rien n’avait disparu : rien n’avait bougé. Aujourd’hui, j’y suis habitué, et je n’y fais plus grande attention. Les vieillards comme moi dorment peu ; et, comme je sais qu’il y a dans ce monde bien des choses qu’il ne faut pas trop essayer de pénétrer, — car les plus fins et les plus savants y perdent leurs latin et déraisonnent là-dessus, tout comme nous autres, pauvres ignorants, — je me dis que c’est la volonté de Dieu. Puis je récite un De profundis pour les pauvres âmes