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le vent, passant à travers les branches et les crevasses des vieux chênes, semblait nous apporter, des noires profondeurs du bois, des cris et des plaintes étouffées. De temps en temps, un corbeau, réveillé par le bruit de nos sabots ferrés sur les pierres, s’envolait en poussant un croassement lugubre. Nous n’avions pas peur, pourtant, et nous marchions résolument.

L’on nous attendait, à Guernaham. Un bon feu flambait et pétillait dans la vaste cheminée de la cuisine. Charlès Keriot nous reçut cordialement, nous fit donner les meilleures places au foyer, et nous parlâmes de bœufs, de charrues, de chevaux et des travaux de la saison. Mais, pas un mot du diable ni des revenants. Il faisait un vent très-violent, et le vieux manoir s’ébranlait et craquait, comme un navire battu par la tempête.

À dix heures et demie, Charles nous apporta à chacun une bonne écuellée de cidre. Tout le monde de la maison alla se coucher, et il ne resta près du feu que Tugdual Kerlann et moi, assis en face l’un de l’autre, chacun d’un côté du foyer. Nous fumions en silence, et regardions en rêvant les flammes bleues qui voltigeaient sur les tisons à moitié éteints.

À onze heures sonnant, je finis de vider mon écuelle, et j’allai réinstaller au lit placé au bas de l’escalier, et où le lutin ou le diable faisait sa visite à la servante. Tugdual resta auprès du feu, armé d’un bon penn-baz (bâton de chêne, terminé par une boule). On éteignit