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rude labeur les ait absorbés tout entiers. Le paysan, derrière sa charrue, le marin, dans sa barque, chantent parfois des couplets composés par autrui, mais n’en composent guère eux-mêmes. Il existe cependant un dialogue très intéressant et très agréablement conduit, où l’un et l’autre « disputent » entre eux des avantages et des inconvénients de leurs conditions réciproques. Cette Dispute du laboureur et du matelot est fort répandue ; si nous ne lui avons pas fait place dans cet ouvrage, c’est qu’elle est imprimée, et qu’on peut se la procurer, à Morlaix, chez le successeur de Lédan. Il n’en est pas de même de certaines « chansons de bord », qu’on trouvera plus loin, dans notre second volume. Elles sont rares ; mais, contrairement à ce qu’a cru M. Quellien, elles ne se sont pas complètement effacées de la mémoire du peuple. L’une d’elles, en particulier, — la jolie sôn des « filles de Kerity », — se chante beaucoup, au pays de Paimpol. Improvisée jadis par des pêcheurs de Terre-Neuve, elle m’a été chantée, à diverses reprises, chez Mme Foison[1],par des Islandais frais débarqués, qui en avaient fait retentir le grand silence brumeux des mers polaires.

IV

Après avoir passé en revue les diverses classes d’hommes où se recrutaient la plupart des chansonniers bretons, il n’eût pas été sans intérêt, peut-être même eût-il été nécessaire de fournir quelques éclaircissements sur certaines

  1. 1 Mme Foison tient à Paimpol une auberge, qui est le grand rendez-vous des Islandais, et aussi des marins pêcheurs de la côte paimpolaise. Sa maison, dont les fenêtres donnent sur un admirable paysage de mer, est une de celles où l’on peut entendre les morceaux les plus étranges et les plus variés du répertoire cosmopolite des matelots bretons.