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les appelait cacous (caqueux)[1]. On s’éloignait d’eux, comme s’ils eussent eu la lèpre. Dans les églises, un endroit spécial, une sorte de ghetto minuscule, leur était réservé, et ils n’avaient pas le droit de se mêler aux autres fidèles. On les proscrivait même des bourgs. Ils ne pouvaient s’établir et exercer leur industrie qu’à distance des agglomérations. Aujourd’hui encore, bien que cette réprobation ne pèse plus sur eux, ils continuent d’habiter en pleine campagne, et tressent leur chanvre, le long des talus, dans de vieux chemins abandonnés. Leur corporation s’est d’ailleurs fort éclaircie, et ne tardera sans doute pas à disparaître.

Sans être un objet d’aversion, comme les cordiers, les sabotiers ne jouissaient guère non plus de la sympathie du peuple. A eux principalement s’appliquait l’épithète de « paotred Kernew » (gars de Cornouaille), qui, sur le littoral du Nord, équivaut presque à une injure. On les disait sauvages et de mœurs farouches. On leur prêtait des habitudes singulières, comme de frotter leurs nouveaux-nés, l’hiver, avec de la neige. Leurs huttes, faites de branchages entrelacés, et qu’on voyait fumer éternellement, sous le couvert des bois, inspiraient à l’imagination populaire une superstitieuse terreur. Enfin, — grief plus considérable, — on prétendait qu’ils n’étaient pas Bretons d’origine, qu’ils étaient venus du côté de l’aurore, que c’étaient des étrangers, des Galls[2]. Il est vrai

  1. 1 « Quant à leur origine, dit Souvestre, la tradition était multiple et douteuse ; les uns les tenaient pour des Giypsians ou Bohêmes, les autres, pour des Juifs, quelques-uns, pour des Sarrasins emmenés captifs, à l’époque des croisades. Les Ducs de Bretagne leur avaient d’abord interdit l’agriculture et le commerce ; mais, au XVe siècle, voulant diminuer le nombre des mendiants, François II leur permit de prendre des fermes avec des baux de trois ans et de faire le trafic du fil et du chanvre, dans les lieux peu fréquentés. Ces nouveaux privilèges ne leur furent accordés qu’à la condition de porter une marque de drap rouge sur leurs vêtements. »
  2. 2 On les appelle encore souvent de ce nom.