occupé par deux gentilshommes fermiers, au sens qu’on attache à cette qualification, en Angleterre, deux membres de ce clan des Le Huërou, dont j’ai déjà eu occasion de mentionner un des représentants les plus regrettés. Au jour et à l’heure qui lui avaient été fixés, malgré la pluie, qui tombait à verso, Marguerite, Philippe arriva. Je m’attendais à trouver une femme âgée, en vertu de cette conception qui veut que les conteuses soient vieilles, qu’elles aient le chef branlant, comme celui de la Mère l’Oie, Mais point. Marguerite Philippe a quarante ans au plus. Elle zézaie un peu, en parlant, mais le zézaiement disparaît, dès qu’elle chante... Je la contemplai, je l’avoue avec une curiosité respectueuse. C’était dans le salon du château. Sur le parquet, des peaux de loups abattus par nos hôtes ; ça et là, quelques terres cuites, un Arlequin, gouailleur et cambré, sa batte sous le bras. Au pied des fenêtres, de vastes corbeilles de fleurs laissaient tomber leurs pétales et monter ces « odeurs fines » dont parlent
de Barbe-Bleue. Entr’autres crimes, ou l’accusait de la mort d’un
douanier. Je ne sais quelle raison on donne du meurtre, si
Margéot faisait de la contrebande, ou s’il avait quelqu’autre sujet de haine et de veugeance contre le douanier ; mais aussitôt
le crime commis, il monta, dit-on, sur un excellent cheval qu’il
avait, et que l’on disait aussi être un présent de l’enfer, et se rendit
à Saint-Brieuc, bride abattue. C’était de nuit ; Saint-Brieuc est à
douze ou treize lieues de Kercabin. La justice informa, fit une
enquête, et sur quelques indices et de nombreuses présomptions,
Margéot fut mis en accusation. Mais, grâce à la rapidité et aux
jarrets de fer de son cheval, il parvint à établir un alibi, et fut
acquitté. Il mourut peu de temps après, à la grande joie de tout
le pays, et quelques vieilles femmes prétendent que deux diables
rouges enlevèrent son corps, pendant la veillée de mort, et que
le cercueil que l’on enterra, dans le cimetière de Plouëc, était
vide. Depuis lors, la nuit, on entend souvent un cheval arriver
bride abattue dans la cour de Kercabin ; et quand les domestiques se présentent pour recevoir le voyageur attardé et mettre
son cheval à l’écurie, ne trouvant ni cavalier, ni cheval, ils rentrent en maugréant et en disant : « C’est encore ce diable de Margéot! »