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chanter, elle imitait, de la tête et de la main, l’attitude de la vieille Nanti, et reproduisait jusqu’à l’accent de sa voix ![1].

Mais, tous ces noms que je viens de citer pâlissent à côté de celui de Marguerite Philippe. Pluzunet, la commune où elle réside, mérite dans nos annales une place à part. La population y est fine, vive d’esprit, appliquée à notre littérature nationale. Des fermiers, comme Claude Le Bihan, des Daniel mil-micher (Daniel aux mille métiers), comme cet original de Lestic, des serruriers, joyeux compagnons, comme Bertrand Le Ménager, y consacraient jadis leurs soirées à transcrire de leurs robustes mains les manuscrits bretons de nos Mystères. Le dimanche, après vêpres, ils se réunissaient, avec leurs disciples, dans quelque auberge ; et c’étaient alors, jusqu’à la nuit, bien close, de véritables auditions dramatiques, dont le souvenir a survécu à ceux qui s’en faisaient à la fois les impressarii et les acteurs. Ils étaient parvenus à fonder ainsi une école de déclamation, une sorte de Conservatoire armoricain. Ils ont laissé des élèves, qui, sans égaler leurs maîtres, ne se sont pas trop départis des saines traditions.

Les comediancher qui ont donné un lustre local à l’inauguration du théâtre de Morlaix, en 1888, et qui y ont représenté Sainte-Tryphine, d’après le texte publié par M. Luzel, sortaient pour la plupart de Pluzunet ou de sa banlieue. Ce pays est peut-être le dernier de Basse-Bretagne où l’on entende encore, le soir, par les routes, des hommes de labour, qui rentrent avec leurs chevaux et leurs outils, débiter de leurs voix rudes de longues tirades empruntées à la vie naïvement dramatisée de nos Saints. Les silhouettes,agrandies par le crépuscule, prennent des proportions fantastiques, de sorte qu’avec un peu

  1. 1 Puisque je parle de Pleudaniel et de Kerbors, je tiens à dire ici quelles obligations j’ai à MM. Guennebaud et Peutrés, instituteurs, qui m’ont été d’un bien précieux secours.