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races qu’à celle des personnes, quelque chose, en effet, survivra de vous ; c’est à M. Luzel plus qu’à tout autre que vous le devrez. Il est probable, hélas ! que vous n’en saurez jamais rien...

M. Luzel, pour sa besogne, ne se liait guère qu’à lui-même. Il trouva cependant quelques aides, qu’il serait injuste de passer sous silence. Ce furent : d’abord M. Lamer, instituteur, qui, prenant au sérieux les circulaires de M. de Fortoul relatives à la recherche des traditions du peuple, s’efforça de les appliquer, dans le district de Ploumilliau ; puis M. Vincent Coat, employé à la manufacture des tabacs de Morlaix ; enfin, un troisième auquel on me permettra de consacrer une mention spéciale, mon père. C’est à son nom plutôt qu’au mien qu’aurait dû revenir l’honneur de figurer sur la couverture de ce livre, à côté de celui de M. Luzel. Nul n’a eu plus que lui le culte ardent des choses bretonnes. Ses regards, qui ne se sont jamais risqués au delà de la terre natale, ne s’en sont non plus jamais distraits. Peu d’hommes, — M. Luzel mis à part, — ont plus vécu de l’amour de la petite patrie armoricaine. Ses plus belles années se sont écoulées tout là-haut, dans l’Argoat, dans la primitive et sauvage Contrée-des-Bois. On désigne ainsi la lisière de Cornouaille qui déborde par-dessus les monts d’Arrée jusque dans le département des Côtes- du-Nord. C’est une région accidentée, noire de forêts, avec quelques cônes dénudés et sinistres, comme le Menez Mikêl. La population y est fruste et simple, même de nos jours, à cause de son éloignement des voies ferrées. Elle se compose surtout de charbonniers et de fabricants de sabots, qui égayent leur solitude en la peuplant de chansons. Au printemps, ces hommes dévalent vers Lannion, Tréguier, Guingamp, Paimpol. Alors scintillent, la nuit, par les routes du bas pays, les fanaux en fer-blanc de leurs charrettes, et on les entend, eux, les gars de l’Argoat, fredonner en somnolant des couplets