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mais ! pensa-t-il, ou je me trompe fort, ou ce que chante là cette femme n’est rien moins qu’une des ballades du Barzaz-Breiz, et l’une de celles dont l’origine populaire est le plus contestée. »… Il engage la conversation : « De qui tenez-vous cette jolie gwerz ? — Ma foi, Monsieur, elle est chez nous. — Pourriez-vous me la faire voir ? — Si vous le désirez… » M. Sauvé accompagne la jeune paysanne, qui le conduit jusqu’à son manoir et lui met sous les yeux une feuille de papier jauni. Il la prend, la regarde. Elle avait été arrachée… au livre de M. de la Villemarqué. M. Sauvé se trouva déçu. Que d’autres le furent, avant lui !

Témoin cet excellent M. de Penguern, si désolé de ne jamais découvrir, malgré l’activité passionnée de ses recherches, un seul document populaire qui pût soutenir la comparaison avec les admirables poèmes du Barzaz-Breiz. Cette désolation chez lui touchait au désespoir. Il ne faut pas oublier, en effet, que l’apparition du Barzaz-Breiz fut, en Bretagne, le signal d’une renaissance, analogue à celle dont le Romantisme venait de doter la France. L’œuvre de M. de la Villemarqué exerça, à ce point de vue, une influence salutaire. Il n’est que juste de lui en tenir compte. Un réveil se fit alors dans les esprits : un souffle de renouveau traversa le ciel breton. Puisque le génie local avait cependant pu produire une telle œuvre, c’est que la vieille âme de l’Armorique non seulement n’était pas morte, mais aspirait à revivre. On crut sérieusement à la possibilité de cette résurrection. On rêva de rebâtir en terre bretonnante l’idéale cité d’Artur. On se préoccupa de l’épilogue qui siérait le mieux à la magnifique « histoire » nationale que M. de la Villemarqué avait reconstituée, pour ainsi dire, page à page. On ne jura plus que par Gwenc’hlan et Merlin. On vit se dresser leurs grandes ombres sacrées sur le fond des horizons armoricains. Tout le monde se mit à l’œuvre, clergé en tête. C’était à qui apporterait sa pierre au