Page:Luzel - Soniou Breiz Izel vol 1 1890.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un autre, en 1868, à la ferme da Kerdonnarz, en Scaër, Louis Olivier, dont le père avait maintes fois chanté à Brizeux la version que je venais de copier sous sa dictée, me dit aussi : — « Mon père chantait cela bien mieux que moi ; dans les réunions de famille et aux repas de noces, on lui demandait toujours Gousperou ar Râned, et l’on s’extasiait sur la sûreté de sa mémoire et la volubilité avec laquelle il psalmodiait la pièce. Il me la fit aussi apprendre, dès mon enfance, parce qu’il prétendait que cela exerçait la mémoire et déliait la langue. »

Et comme je lui demandais la signification de quelques passages inintelligibles, il me répondait : « Je ne sais pas ; je l’ai appris comme cela. »

M. de la Villemarqué intitule la version que nous présente son Barzaz Breiz, avec grand renfort de commentaires et de notes savantes : Ar Rannou, qu’il traduit par : les Séries. Mais c’est à tort, j’en suis convaincu, car partout, invariablement, j’ai entendu prononcer Gousperou ar Râned, avec un â long, et plusieurs versions débutent même ainsi : cân, rân, — « chante, grenouille. » Il est impossible de se tromper sur la signification de rân, plur : râned, qui vient évidemment du latin rana, ranæ, au lieu que rann, plur : rannou, par deux nn, vient du verbe breton ranna, qui signifie partager, diviser.

La seule expression bretonne que j’aie rencontrée dans le peuple et qui semble rappeler le druidisme est celle de Escop derw, Évêque de chêne, ou du chêne. Elle est assez répandue dans le pays de Tréguier, mais on n’a jamais pu m’en donner une explication satisfaisante ; le sens véritable s’en est perdu.

La version du Barzaz-Breiz contient le mot Drouiz, traduit par Druide, et qui suffirait pour donner à la pièce une date très reculée et une importance que je ne lui crois pas. Je n’ai jamais rencontré chez nos paysans bretons le mot Drouiz, ni dans leurs chansons, ni dans leurs contes, et M. de Penguern lui-même n’a pas été plus heureux que moi, sous ce rapport.

Le Gousperou ar Râned est très répandu dans toute la Bretagne bretonnante, mais principalement en Tréguier et en Cornouaille. J’en ai recueilli une vingtaine de versions, un peu de tous les côtés, et presque toutes elles présentent des variantes, souvent locales, mais sans apporter aucune lumière a l’intelligence de la pièce.

Voici quelques-unes de ces variantes :