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de pain au même vieillard et est bientôt congédié, comme son aîné, et pour le même motif. Le dernier, nommé Laouik, veut aussi tenter l’aventure. Il partage son pain avec le vieux mendiant, laisse aller l’âne à l’eau, aussi loin qu’il veut et aborde une terre où il voit des choses étranges : un homme qui avait un doigt dans le feu et ne pouvait l’en retirer, et poussait des cris épouvantables ; plus loin, un autre homme couché sur un lit de braise ardente, et souriant en regardant le ciel ; plus loin encore, dans une grande lande aride, il voit des vaches grasses et luisantes, et qui paraissaient heureuses ; puis, dans une prairie pleine d’herbe haute et grasse, d’autres vaches, maigres, décharnées et qui paraissent bien malheureuses ; plus loin, deux rochers placés des deux côtés de la route s’entrechoquent et se battent avec un tel acharnement, qu’il en jaillit des étincelles et des fragments de pierre qui s’en détachent. Il passe sans mal, mais non sans crainte, entre les deux rochers, et arrive à un pont étroit et glissant et sans parapets. Il franchit encore heureusement le pont et se trouve alors dans un bois ou un jardin délicieux, où les arbres étaient chargés de beaux fruits, et les oiseaux chantaient mélodieusement. Cependant, l’âne ne s’arrête pas et continue de marcher droit devant lui, et il se trouve devant une haie d’épines et de ronces, si fournie, qu’un roitelet n’aurait pu passer à travers. Heureusement que la haie s’entr’ouvre devant eux, et ils passent encore, sans mal. Alors, Laouik se trouve dans une belle prairie, devant une nappe blanche étendue sur l’herbe, et sur laquelle il voit toutes sortes de mets appétissants et de flacons de vins délicieux. L’âne s’arrête et se met à paître, ce que voyant Laouik descend et mange et boit à discrétion. Puis il remonte sur sa bête, et celle-ci revient tranquillement à la maison, en repassant par le même chemin. Laouik arrive au château et va saluer son maître.

— C’est fort bien, lui dit celui-ci, mais où as-tu été ?

— Ma foi ! maître, je n’en sais rien ; mais j’ai vu des choses bien étranges.