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voulait, et les moines étaient étonnés de son intelligence. Mais, à partir de ce moment, il maigrissait tous les jours, à vue d’œil, et il devint si triste, que c’était pitié de le voir. Les moines et ses parents aussi attribuèrent ce changement à une application trop soutenue ; mais la cause véritable était tout autre. Tous les matins, quand il se rendait à l’école, il rencontrait sur son chemin un barbet noir, qui lui prenait le petit doigt de la main gauche dans sa bouche et ne cessait de le sucer, jusqu’à la porte de l’abbaye. L’enfant en avait bien parlé à sa mère ; mais la pauvre femme ne faisait que pleurer, se doutant bien que ce barbet noir n’était autre chose que le père même de son fils. À mesure que l’enfant approchait de sa dixième année, sa tristesse augmentait tous les jours, et elle ne pouvait le regarder sans que les larmes lui vinssent aux yeux. Mais elle ne lui faisait pas connaître la cause de son chagrin et de sa douleur, malgré toutes ses instances et ses prières. Un jour pourtant, quand le terme fatal fut proche, elle lui déclara tout. L’enfant, à son tour, révéla le mystère à un vieux moine très-savant et qui l’avait pris en grande affection. Le vieillard consulta ses livres, puis il alla voir la mère de son élève et lui parla de la sorte :

— Votre fils a une bien triste destinée, et vous aussi, ma pauvre femme ! Mais laissez-moi faire ;