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plus d’ardeur, j’interrogeais les aveugles, les fileuses, les tailleurs, les sabotiers dans leurs huttes, les vieillards ; je leur citais les couplets, les beaux vers que j’avais retenus à les entendre réciter à mon ami, ou pour les avoir lus dans un livre auquel j’avais voué une grande admiration, le Barzaz-Breiz, et tous me répondaient invariablement, et en secouant la tête d’un air de doute : « Nous n’avons jamais entendu rien de semblable. » J’en venais alors à douter du mérite et de l’utilité de mes recherches et j’y renonçais parfois : mais j’y revenais toujours, pour mon propre plaisir, et sans aucune idée bien arrêtée de publicité, du moins dans les premiers temps. Les pauvres gwerz et sônes, trop souvent incomplets, incohérents, bizarres, naïfs, que je copiais sous la dictée de nos paysans me semblaient si pâles, si mal tournés, si rustiques, à côté des belles ballades toujours si régulières, si poétiques, si parfaites de mon ami et du Barzaz-Breiz. Et pourtant j’y trouvais un charme inexprimable ; j’avais toujours sur moi du papier blanc et un crayon, et je ne manquais jamais une occasion de recueillir un gwerz ou un sône que je n’avais pas encore, ou une version différant sur quelque point de celles que je possédais déjà. Aussi puis-je dire en toute sincérité que mon livre est un livre de bonne foi, ce qui en sera sans doute le principal mérite. Toutes les pièces qui s’y trouvent, sans exception, peuvent se recueillir encore dans le pays. Si on ne les trouve pas toujours dans les communes, et dans la bouche des personnes que j’ai indiquées (car quelques-unes sont mortes), on les trouvera certainement dans quelqu’autre commune voisine. Chez nous, nul n’emporte dans la tombe le secret d’une tradition orale ou d’un chant populaire légué par les aïeux de génération en génération, et venu avec eux, peut-être, des pays lointains où fut leur berceau. C’est là un patrimoine commun, et il est assez riche pour que chacun de nous y ait une part aussi large qu’il le peut désirer.


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