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NOTE.


Saint Garan, dont le héros de notre gwerz porte le nom, est un personnage peu connu des hagiographes bretons, et pas du tout, je crois, des autres. Quoiqu’il en soit, la commune de Cavan, dans les environs de Lannion, le vénère comme son patron, et l’on croit que Cavan n’est qu’une altération de Garan. Je possède un vieux manuscrit breton où sa vie est exposée sous forme de Mystère, On m’assure qu’il s’en trouve aussi une copie, ou une autre version, avec quelques différences, sans doute, dans la collection des manuscrits bretons de M. de Penguern. D’après mon Mystère, Garan était fils d’un patricien Romain. Sa jeunesse fut orageuse. Après avoir commandé les armées, il se convertit au christianisme, à la veille de se marier à la fille d’un sénateur, fut baptisé par saint Denis et ordonné prêtre par saint Clément. Jeté par a ne tempête sur les côtes de la Basse-Bretagne, alors pleine d’idolâtres, il prit terre en la commune de Plestin, au lieu encore nommé aujourd’hui Trégaran, y convertit les habitants et vint ensuite prêcher la foi au pays où se trouve maintenant la commune de Cavan, entre Lannion et Bégar. Là encore il signala son séjour par des miracles et de nombreuse conversions.

Cette pièce, fort longue, ne manque pas d’un certain mérite littéraire. Voici une jolie comparaison de saint Garan instruisant ses disciples :

" ... Voyez, quand vient le mois de mai, comme tout est gai et riant dans un verger ! Tous les arbres se couvrent de fleurs, selon leur nature, et tous sont si beaux à voir !... Mais survient un mauvais vent, qui souille et flétrit les belles fleurs, et trouble le ciel ! Ainsi le démon flétrit et dévaste nuit et jour le verger de Dieu ! »

On aura remarqué dans ce gwerz et quelques autres, et on aura souvent occasion de remarquer encore dans la suite, beaucoup d’irrégularité dans le métré des vers bretons. Est-ce de la faute des chanteurs, ou des auteurs ? Je ne saurais le dire. Les élisions, les contractions, les syncopes fréquentes auxquelles je suis forcé de recourir par suite de ces irrégularités, rendront la lecture de mes textes assez difficile, surtout aux personnes à qui notre vieil idiome n’est pas très-familier. Mais la méthode de rigoureuse fidélité à laquelle je me suis condamné m’oblige à user de ces moyens, qui n’ont même pas été toujours suffisants pour éviter quelques vers excédant la mesure. En procédant autrement, en redressant les vers boiteux, en les remettant sur leurs pieds, prosodiquement, — chose assez facile en général, — il pourrait m’arriver parfois de substituer ma propre pensée à celle du poète populaire, et dans tous les cas, je ne donnerais plus un texte parfaitement authentique. C’est du reste un inconvénient commun à toutes les poésies du peuple, dans tous les pays, et il faut en prendre son parti. Je constate aussi que la méthode que je pratique a été généralement celle des éditeurs de poésies populaires, tant français qu’étrangers. On se tromperait cependant en croyant que ces irrégularités sont une grande difficulté pour nos chanteurs. Quelques syllabes de plus ou de moins dans un vers ne les embarrassent nullement, et ils y adaptent facilement leurs airs. « Les mots de plusieurs syllabes, » comme le dit très-bien M. Champfleury dans son recueil des Chansons populaires des provinces de France, glissent sur une note comme par enchantement ; un vers tout entier saute le pas, s’il le faut ; et, en d'autres occasions, une phrase musicale de plusieurs mesures n'est pas trop longue pour un mot. C'est une poésie impossible à régulariser, ce qui n'enlève rien, au contraire, au charme de la mélodie. »

La prosodie du peuple existe plus dans sa tête, dans sa voix surtout, que dans les caractères typographiques et la mesure matérielle des mots et des vers. D’ailleurs, dans l’intention de ces poètes inconnus, et qui le plus souvent, sinon toujours, ne savaient pas lire, ces chants n’étaient pas destinés à l’impression.