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Il y a encore dans ce conte mélange de plusieurs fables, deux au moins, et probablement trois. La reconnaissance de la fin rappelle un peu celle de la légende allemande de Henri de Brunswick, surnommé le Lion, à cause du secours qu’il reçut de cet animal.


JANVIER ET FÉVRIER.


Une pauvre veuve avait deux fils, dont l’un s’appelait Janvier, et l’autre, Février. Janvier, afin d’alléger les charges de sa mère, se décida à voyager pour chercher condition. Il partit donc, promettant de revenir à la maison, dès qu’il aurait gagné un peu d’argent. Il arriva dans un château dont le seigneur le prit à son service aux conditions suivantes : il devait faire tout ce que lui diraient le maître et la maîtresse et leurs deux jeunes enfants, sans jamais se fâcher de rien, et, s’il remplissait bien ces conditions, il recevrait cent écus au bout de l’année ; mais aussi s’il refusait d’obéir, en quoi que ce fût, ou s’il se fâchait, il serait renvoyé sans le sou, et de plus on lui enlèverait un ruban de peau rouge depuis le sommet de la tête jusqu’aux talons. L’année devait finir quand le coucou chanterait. Le seigneur, de son côté, s’engageait à se laisser enlever le même ruban de peau rouge, si lui-même il se fâchait. Janvier accepta. Trois cents francs ! c’était toute une fortune pour lui, et comme sa mère serait heureuse, s’il pouvait les lui rapporter un jour !

On l’envoya, le premier jour, couper de l’ajonc sur une grande lande. Un grand chien l’accompagnait. Il se mit à l’ouvrage  ; mais, quand il se sentit fatigué, il voulut se reposer un peu et fumer une pipe. Dès qu’il s’arrêta, le chien lui montra les dents. Il lui fallut donc se remettre au travail, et laisser sa pipe. À midi, une servante vint, apportant deux écuelles pleines de soupe, l’une de pain blanc, pour le chien, et l’autre, de pain noir, pour Janvier. Cela lui parut étrange ; il ne s’en plaignit pourtant pas. Il mangea sa soupe, puis il lui fallut se remettre à l’ouvrage, jusqu’au coucher du soleil. Alors le chien prit la route du château, et il le suivit. On lui donna encore de la soupe de pain noir, à souper. Pendant qu’il mangeait sa soupe, tout à coup les enfants se mirent à crier :

— J’ai envie de . . . . .

— Allons ! Janvier, dit alors la maîtresse, accompagnez les enfants dehors  !

Et Janvier sortit avec les deux marmots. Quand il rentra, on avait fini de souper ; il n’y avait plus rien sur la table ; on avait tout serré.

— N’aurai-je pas aussi un peu de lard ? demanda-t-il timidement.

— C’est trop tard, tout est serré ! répondit la maîtresse.

— Triste souper, après une si rude journée de travail ! murmura-t-il.