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Le cadet, qui était là, invisible, entendit tout. Sa femme s’empara de la clef d’or, pendant que le géant dormait, et la lui remit. Il se rendit alors au bois, ouvrit la caverne, tua successivement, avec son arc, le lion, le loup, le lièvre, la colombe, s’empara de l’œuf et revint avec lui au château. Il le brisa sur le front du géant, qui était étendu sur son lit, bien malade déjà et affaibli graduellement par la mort de chaque animal, et le monstre expira sur-le-champ, et le château lui-même disparut, avec son maître, dans le puits de l’enfer !

Le cadet et sa femme n’eurent aucun mal, et ils retournèrent alors dans leur pays[1].


Ce conte semble composé par le mélange de deux ou trois autres contes, que l’on trouve séparément ailleurs, par exemple les trois récits que l’on peut lire dans le recueil de M. Alex. Chodzko, Contes des paysans et des pâtres slaves, sous les titres de : l’oiseau Ohnivak, l’Esprit des steppes et le Tapis volant. Le géant Kostey, de l’Esprit des steppes, est un Corps sans âme. Comme dans le conte breton, sa vie est dans un œuf qu’on ne peut se procurer qu’en tuant successivement plusieurs animaux renfermés les uns dans les autres. Voici comment la vieille Yaga ou sorcière du conte slave donne ses instructions au prince Junak, pour triompher du géant Kostey, qui a enlevé la princesse Merveille : « Prince Junak, tu as entrepris une chose bien difficile ; mais ton courage te servira à accomplir ton dessein. Je vais t’indiquer le moyen de faire périr Kostey, car sans cela tu ne parviendrais à rien. Sache donc qu’au milieu de l’Océan se trouve l’île de la vie éternelle. Sur cette île est planté un chêne, au pied duquel tu trouveras enfoui sous terre un coffre bardé de fer. Dans ce coffre est enfermé un lièvre ; sous ce lièvre se cache un canard gris, dont le corps renferme un œuf : c’est dans cet œuf que réside la vie de Kostey. Une fois l’œuf cassé, Kostey est mort ! Adieu, prince Junak, pars sans tarder, ton coursier le conduira à destination.

Dans les Traditions populaires des Gaëls d’Ecosse, recueillies par F.-J. Campbell, je trouve également un Corps sans âme, dans le conte qui porte le titre de : le jeune roi d’Easaidh Ruadh. Là, comme dans les contes bretons et slaves, il y a un géant dont la vie réside dans un œuf, qu’il faut chercher dans le corps d’un canard[2].

  1. 1 J’ai déjà donné une autre version de ce dernier conte dans mon premier rapport, sous le titre: le Corps sans âme.
  2. 2 Consulter, sur l’ouvrage de M Campbell, un travail fort intéressant de M. E. Morin, professeur d’histoire de la faculté des lettres de Rennes, portant le titre suivant : Remarques sur les contes et les traditions populaires des Gaêls de l’Ecosse occidentale, d’après la récente publication de M. F.-J. Campbell. — Edinburgh, Edmonston and Douglas. 4 vol. in-12, 1860-62.