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— Monseigneur le Soleil est-il à la maison ? lui demanda-t-il ?

— Non, mon enfant, mais il arrivera sans tarder, répondit la vieille.

— Je l’attendrai, alors.

— Mais, mon pauvre enfant, mon fils aura grand’faim, quand il arrivera[1], et il pourrait bien te manger.

— Je vous en prie, grand’mère, faites qu’il ne me mange pas, car il faut que je lui parle.

— Eh bien ! entre toujours, mon garçon, et je tâcherai d’arranger cela.

Et il entra. Le Soleil arriva peu après, en criant :

— J’ai faim ! j’ai grand’faim, mère ! Puis, ayant flairé l’air : Je sens odeur de chrétien ! Il y a un chrétien ici, et je veux le manger !

— Oui, comptez là-dessus, lui dit sa mère, que je vais vous le donner à manger, ce pauvre enfant qui est si gentil ! Voilà votre souper qui est prêt, mangez-le vite et faites silence, ou gare, à mon bâton !

Le Soleil courba la tête, à cette menace, comme un enfant craintif, et se mit à manger, en silence. Quand il eut fini, Louis, enhardi en le voyant si doux, lui adressa sa question :

— Je voudrais bien savoir, monseigneur le Soleil, pourquoi vous êtes si rouge, si beau, quand vous vous levez, le matin ?

— Je veux bien te le dire, répondit le Soleil ; c’est que le château de la princesse de Tronkolaine[2] est ici près, et elle est si belle qu’il faut que je me montre aussi dans toute ma beauté, pour n’être pas éclipsé par elle.

— Merci bien, monseigneur le Soleil, répondit Louis ; et il salua profondément et partit alors. Il redescendit la montagne, remonta sur son cheval de bois, qui l’attendait, et il fut bien vite rendu à la cour du roi.

— Eh bien ! lui demanda celui-ci, as-tu été jusqu’au Soleil, et peux-tu me dire, à présent, pourquoi il est si rouge, quand il se lève, le matin ?

— Oui, sire, je peux vous le dire.

— Voyons donc cela.

— C’est pour n’être pas éclipsé par la princesse de Tronkolaine, dont le château est voisin du sien, et qui est la plus merveilleuse beauté qui existe nulle part.

Le roi parut satisfait de l’explication.

Mais, à quelque temps de là, le faux filleul lui dit encore :

— Si vous saviez, parrain, ce dont s’est encore vanté le valet d’écurie ?

— De quoi s’est-il donc vanté ? demanda le roi.

  1. Dans les fables indiennes aussi, le Soleil rentre tous les soirs affamé, après sa course journalière.
  2. Dans Grimm, c’est la Princesse au Dôme d’or, conte du Fidèle Jean. Je ne sais pas bien au juste si c’est par la princesse elle-même, ou par l’éclat de son château, qui est tout d’or, que le Soleil craint d’être éclipsé.