Page:Luxembourg - Réforme ou révolution ? Les lunettes anglaises. Le but final.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.

blâme-t-elle les députés réformistes[1] de vouloir « s’émanciper du contrôle et de l’influence des organisations du Parti » et d’« en appeler à la masse électorale amorphe et inorganisée ». Sur ce point encore, réformisme et bolchevisme sont frères jumeaux, l’un et l’autre préférant une masse de suiveurs à une masse consciente : tandis que les « révolutionnaires professionnels » du léninisme spéculent sur cette masse amorphe pour l’entraîner, souvent par des slogans mensongers, dans des actions violentes, les réformistes professionnels du bernsteinisme voient dans cette même masse la matière première rêvée pour leurs campagnes électorales, au cours desquelles ils n’énoncent pas précisément des vérités pures et profondes.

Les réactions aveugles de ces masses incultes, qu’elles se manifestent sur le plan insurrectionnel ou sur le plan électoral, peuvent mettre la démocratie en péril et préparer le lit du totalitarisme : on l’a vu dans l’Allemagne de 1932-1933, où l’assaut de ces masses frustes et désespérées, embrigadées par les nazis et par les communistes pour leur action à la fois parlementaire et extraparlementaire, finit par avoir raison de la République de Weimar.

Dans la France d’aujourd’hui, sur laquelle plane toujours la menace totalitaire, et dans d’autres pays européens encore, la question se pose sous un autre jour qu’à l’époque où Rosa Luxembourg écrivait les études qu’on va lire. Le fonctionnement de nos institutions depuis la libération, et notamment la loi électorale, soustraient les députés au contrôle des électeurs et font des partis des organismes plus ou moins affranchis de la volonté du corps électoral, auquel le système des listes rigides ne permet pas de désigner lui-même ses représentants. Il pourrait sembler à l’observateur superficiel que les critiques formulées aujourd’hui contre ce système traduisent des préoccupations semblables à celles des bernsteiniens allemands, des turatistes italiens et des jauressistes français, que Rosa Luxembourg combat dans cette brochure (p. 39.)

Mais en examinant cette question de plus près, on observe des différences sensibles entre la situation d’alors et celle d’aujourd’hui. Les partis que Rosa Luxembourg avait en vue étaient démocratiquement organisés, les tendances s’y affrontaient librement et leurs adhérents pouvaient se déterminer et décider de la politique à suivre en pleine liberté et en entière connaissance de cause. Ces conditions ne sont pas données dans certains partis ouvriers de la

  1. Nous avons expliqué dans une note précédente ce qu’il faut entendre par réformiste.