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Nous ne savons comment qualifier l’obstination que mettent certains auteurs, de M. François Mauriac à Georges Izard, à identifier le marxisme avec le totalitarisme. Ils semblent ignorer que tous les grands théoriciens marxistes de renom international : Kart Kautsky, Émile Vandervelde, Rodolphe Hilferding, Karl Renner, Georges Plekhanov — et nous en passons — dénonçaient tout autant que Rosa Luxembourg la doctrine totalitaire de Lénine comme absolument contraire aux principes du marxisme.

La publication de cette brochure s’imposait en 1934 pour fournir aux socialistes attachés à la démocratie des armes contre les deux courants totalitaires de notre époque : le révolutionnarisme verbeux imprégné d’esprit dictatorial et le révisionnisme sans principe ni retenue qui se traduisait à l’époque par la formule : « Ordre, autorité, nation ». Le porte-parole du premier courant, M. Jean Zyromski, a aujourd’hui rejoint le bercail du totalitarisme stalinien ; celui de l’autre tendance, M. Marcel Déat, a évolué vers le totalitarisme hitlérien. Rien n’illustre mieux la parenté de ces deux extrêmes que l’aventure de Jacques Doriot. Léniniste cent pour cent jusqu’à 1934 (qu’on se souvienne du 9 février !) et chef du parti communiste aux côtés de M. Maurice Thorez, il ne prévoyait assurément pas, en rompant avec le stalinisme et en se mettant au service de Hitler, qu’il se retrouverait un jour d’accord avec son ancien camarade et rival, l’un et l’autre travaillant, de 1939 à 1941, pour la défaite de la démocratie et de la France, puisque leurs patrons respectifs avaient conclu un pacte d’amitié.

Il y a une magnifique continuité de vues dans l’œuvre de Rosa Luxembourg. En insistant sur la nécessité absolue de l’activité propre des masses laborieuses dans leur lutte pour le socialisme et sur l’inversion des rapports entre les dirigeants et la masse à l’encontre de ce qui s’était passé dans la révolution bourgeoise, Rosa Luxembourg dénie aux chefs le droit d’imposer leurs vues à la masse par le mensonge, par la contrainte et par la terreur. À ceux qui voudraient insinuer qu’elle aurait changé d’avis à la fin de sa carrière de militante, nous rappellerons sa brochure de septembre

    Bernstein, il devrait se borner à amender et à replâtrer l’ordre existant au lieu d’en changer les fondements et de le dépasser.

    Tout en condamnant le réformisme tel que nous venons de le définir, le socialisme scientifique ne condamne évidemment point la lutte pour des réformes, si minimes soient-elles, tant que les circonstances ne permettent pas de promouvoir des réformes de plus grande envergure transgressant le cadre capitaliste. Soulignons enfin qu’aucun théoricien socialiste digne de ce nom n’a jamais qualifié de « réformiste » l’idée que cette transformation sociale ne pourra s’effectuer du jour au lendemain et qu’elle s’étendra sur une période assez longue.