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opinions exprimées par des gens qui peuvent se tromper, mais qui n’ont en vue que le salut de notre Parti. Je ne parle pas pour moi, mais d’une façon générale : c’est avec joie qu’on devrait accueillir des idées nouvelles puisqu’elles rafraichissent un peu le répertoire suranné, routinier de notre propagande. »

Il n’existe sans doute pas d’autre parti pour lequel la critique libre et inlassable de ses propres défauts soit, autant que pour la social-démocratie, une condition d’existence. Comme nous devons progresser au fur et à mesure de l’évolution sociale, la modification continuelle de nos méthodes de lutte et, par conséquent, la critique incessante de notre patrimoine théorique, sont les conditions de notre croissance. Il va cependant de soi que l’auto-critique dans notre Parti n’atteint son but de servir le progrès et nous ne saurions trop nous en féliciter, que si elle se meut dans la direction de notre lutte. Toute critique contribuant à rendre plus vigoureuse et consciente notre lutte de classe pour la réalisation de notre but final mérite notre gratitude. Mais une critique tendant à faire rétrograder notre mouvement, à lui faire abandonner la lutte de classe et le but final, une telle critique, loin d’être un facteur de progrès, ne serait qu’un ferment de décomposition.

Que dirions-nous si on nous proposait de « rafraîchir notre répertoire vieilli » par un brin d’agitation antisémite ? Ce n’est pas par des expressions de reconnaissance, mais par des « hola ! » indignés que nos camarades accueilleraient semblable « variation ». Mais le militarisme que prône Schippel[1] est-il en contradiction moins flagrante avec notre programme que l’antisémitisme ?

Si nous accueillons avec une égale bienveillance toute « critique », aussi bien celle qui nous fait avancer vers notre but que celle qui nous en éloigne, nous ne serions pas un parti de combat, mais une association de bavards, qui, après s’être embarqués avec beaucoup de fracas pour une randonnée grandiose, découvrirait qu’elle n’a pas d’itinéraire précis et qu’au fond elle pourrait aborder n’importe où, et même céder au sage « conseil » de renoncer à l’aventure.

Voici de quoi il s’agit. Si grand que soit notre besoin d’auto-critique et si larges que soient les limites que nous lui traçons, il doit cependant exister un minimum de principes constituant notre essence et notre existence même, le fondement de notre coopération en tant que membres d’un parti. Dans nos propres rangs, la « liberté de critique » ne peut pas s’appliquer à ces principes, peu nombreux et très généraux, justement parce qu’ils sont la condition préalable de toute activité dans le Parti, et par conséquent

  1. Max Schippel (né en 1853), un des théoriciens du « revisionnisme » dans les Sozialistische Monatshefte, soutint au congrès de Hambourg (1897) la thèse que le système militaire prussien était préférable à celui de la « milice » inscrite dans le programme du Parti.