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encore, dans une large mesure, sur la confusion des chefs mêmes. Maintenant que les véritables intérêts de la masse populaire ont été mis à nu, la bourgeoisie ne peut conserver les suffrages du peuple qu’en voilant délibérément ses propres aspirations de classe ainsi que les intérêts du peuple qui s’y opposent. Les tribuns des révolutions bourgeoises de jadis furent des dirigeants du peuple en vertu d’une auto-illusion historique. Les Karl Bachem (« leader » des catholiques), les Ernst Bassermann (chef des nationaux-libéraux), les Eugène Richter (dirigeant des démocrates), dont les plumitifs stipendiés ne cessent de tonner contre la « dictature » de Bebel, sont des représentants du peuple en vertu d’une escroquerie politique.

Maintenant, si nous remarquons que, parmi tous ces partis fondés sur la mystification méthodique de la masse, les libéraux dépassent les autres par la véhémence de leurs diatribes sur la « masse aveugle » du parti socialiste et sur la rébellion de la « main calleuse » contre le « Saint-Esprit des hautes études », cela nous offre une preuve éclatante du changement qui s’est produit depuis un demi-siècle et dans le décor historique et dans l’état d’esprit de ces Messieurs.

Autrefois, le hégélien Bruno Bauer, ayant rompu avec le mouvement radical de 1840, soutenait contre les « porte-parole libéraux de la masse populaire » que le « véritable ennemi de l’esprit » résidait « dans la masse et non ailleurs ». Les « porte-parole du libéralisme » de cette époque voyaient « l’ennemi véritable de l’esprit », non pas dans la masse qui prenait au sérieux leur phraséologie libérale, mais « ailleurs » et précisément dans l’État prussien réactionnaire. Aujourd’hui, depuis longtemps alliés à la réaction prussienne contre la masse du peuple, les « porte-parole du libéralisme » voient dans cette masse le « véritable ennemi de l’esprit ». Oui, dans cette masse qui s’est détournée d’eux avec mépris et qui mène pour son propre compte la lutte et contre la réaction prussienne et contre le libéralisme bourgeois.

Ils sont trop verts, les raisins ! Depuis que la bourgeoisie se voit lâchée par ses électeurs des classes populaires, qui passaient, chaque jour en plus grand nombre, sous les drapeaux du socialisme, elle ne nourrit plus que ce seul espoir de pousser la classe ouvrière socialiste, par l’entremise du révisionnisme, dans les ornières de la politique bourgeoise, de briser l’épine dorsale de la lutte de classe et de prendre ainsi par un détour une faible revanche pour les défaites subies sur le théâtre de l’histoire.

Tant que cet espoir durait, la masse socialiste apparaissait à la bourgeoisie susceptible d’acquérir de la « culture » et de « l’instruction » et de se transformer peu à peu en une force « civilisée ». Et voici que cette masse s’est révélée sauvage et brutale au point de faire une omelette de tous les œufs pondus avec tant de précautions par le coucou bourgeois dans le nid socialiste. Pas de doute !