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dient étranger, apporté dans le mouvement ouvrier par des représentants du démocratisme bourgeois. Même s’il en était ainsi, les sanctions d’un statut seraient impuissantes contre cette intrusion d’éléments opportunistes. Puisque l’afflux de recrues non-prolétariennes dans le parti ouvrier est l’effet de causes sociales profondes, telles que la déchéance économique de la petite bourgeoisie, la faillite du libéralisme bourgeois, le dépérissement de la démocratie bourgeoise, ce serait une illusion naïve que de vouloir arrêter ce flot tumultueux par la digue d’une formule inscrite dans le statut.

Les articles d’un règlement peuvent maîtriser la vie de petites sectes et de cénacles privés, mais un courant historique passe à travers les mailles des paragraphes les plus subtils. C’est d’ailleurs une très grande erreur que de croire défendre les intérêts de la classe ouvrière en repoussant les éléments que la désagrégation des classes bourgeoises pousse en masse vers le socialisme. La social-démocratie a toujours affirmé qu’elle représente, en même temps que les intérêts de classe du prolétariat, la totalité des aspirations progressives de la société contemporaine et les intérêts de tous ceux qu’opprime la domination bourgeoise. Cela ne doit pas s’entendre dans ce sens seulement que cet ensemble d’intérêts est idéalement englobé dans le programme socialiste. Le même postulat se traduit dans la réalité par l’évolution historique, qui fait de la social-démocratie, en tant que parti politique, le havre naturel de tous les éléments mécontents, et ainsi le parti du peuple tout entier contre l’infime minorité bourgeoise qui détient le pouvoir.

Seulement, il est nécessaire que les socialistes sachent toujours subordonner aux fins suprêmes de la classe ouvrière toutes les détresses, les rancunes, les espoirs de la foule bigarrée qui accourt à eux. La social-démocratie doit enserrer le tumulte de l’opposition non-prolétaire dans les cadres de l’action révolutionnaire du prolétariat et, en un mot, assimiler les éléments qui viennent à elle.

Cela n’est possible que si la social-démocratie constitue déjà un noyau prolétarien fort et politiquement éduqué, assez conscient pour être capable, comme jusqu’ici en Allemagne, d’entraîner à sa remorque les contingents de déclassés et de petits-bourgeois rejoignant le Parti. Dans ce cas, une plus grande rigueur dans l’application du principe centralisateur et une discipline plus sévère, explicitement formulée dans les articles du statut peuvent être une sauvegarde efficace contre les écarts opportunistes. Alors on a toutes raisons de considérer la forme d’organisation prévue par le statut comme un système défensif dirigé contre l’assaut opportuniste ; c’est ainsi que le socialisme révolutionnaire français s’est défendu contre la confusion jauressiste ; et une modification dans le même sens du statut de la social-démocratie allemande serait une mesure très opportune. Mais, même dans ce cas, on ne doit pas considérer le statut comme une arme qui, en quelque sorte, se suffirait à elle-même : ce n’est qu’un suprême moyen de coercition pour rendre exécutoire la volonté de la majorité prolétarienne qui