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par une situation économique désastreuse, par l’anéantissement complet de toutes les libertés des travailleurs, et, sur le plan international, par la banqueroute de l’Internationale dite communiste. Ne pouvant détailler ici dans le détail les causes de cette dégénérescence, nous nous bornerons à remarquer que la conception léninienne de l’organisation n’est que l’expression de l’état arriéré économique, social et politique, de la Russie. Cette conception du centralisme dictatorial n’eût jamais pu trouver d’application pratique, et encore moins se matérialiser en une dictature aussi absolue, exclusive et personnelle que celle qui y sévit depuis 1928, si elle n’eût trouvé un sol extrêmement propice dans les circonstances sociales russes, notamment dans le manque de maturité de la grande masse des travailleurs.

Dans les vieux pays capitalistes, les principes d’organisation rigides de Lénine n’ont jamais pu conquérir la majorité des travailleurs organisés. C’est du moment où l’on voulut les imposer par la force aux partis communistes occidentaux (1924 : « bolchevisation ») que date le déclin irrémédiable de l’Internationale bolcheviste. La classe ouvrière organisée de ces pays tient trop à sa liberté et à son droit de disposer d’elle-même pour accepter la férule d’un dictateur, qu’il se proclame « chef de la révolution mondiale » ou « fürher d’une révolution nationale ». Les tendances à l’organisation dictatoriale ne s’y rencontrent que dans cette fraction des masses populaires qui n’est pas encore suffisamment pénétrée de conscience socialiste : chez les éléments fraîchement prolétarisés et déclassés, chez les « inorganisés » (si chers à la C.G.T.U.) et chez certains jeunes, dont le savoir et la conscience de leur dignité personnelle ne sont pas encore à la hauteur de leur ardeur révolutionnaire. Mais que vaut une ardeur révolutionnaire qui ne s’aperçoit pas que la liberté est impossible à conquérir par des gens acceptant aveuglément les ordres d’un « chef », se soumettant à sa volonté au lieu de le considérer comme l’organe exécutif de leurs propres aspirations ? Avec un tel état d’esprit, on ne peut faire que des révolutions conduisant à l’esclavage.

Dans l’étude : Masse et chefs, Rosa Luxembourg a soin de souligner que le renversement des rapports entre les chefs et la masse dans le mouvement socialiste, la formation d’une masse se dirigeant elle-même, est un processus dialectique, une tendance bien plus qu’une réalité. Encore aujourd’hui, trente ans après, il faut se garder de prêter à cette masse des qualités miraculeuses qu’elle n’a