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veut, mais elle sait beaucoup moins bien comment elle doit le vouloir. Cette tare, elle la partage d’ailleurs avec la plupart des militants adultes : les divergences sur les méthodes à employer sont loin d’être liquidées dans l’Internationale Ouvrière.

Les divergences sur les méthodes portent avant tout sur la conquête du pouvoir, la démocratie et la dictature, la légalité et la violence ; et ces discussions sont si passionnantes que bien des socialistes en oublient de réfléchir sur un problème apparemment secondaire, d’aspect plutôt sobre et partant rébarbatif : la question de la forme de l’organisation prolétarienne.

Beaucoup de socialistes, surtout les jeunes, tendent à croire qu’il n’y a aucun rapport entre la doctrine socialiste et l’organisation socialiste, que cette dernière ne dépend, sans aucune considération de doctrine, que des besoins tactiques et stratégiques du moment. L’on s’imagine qu’on peut resserrer l’organisation socialiste au point de la militariser sous l’égide d’un comité occulte et de transformer le Parti tout entier en une vaste caserne.

Les articles de Rosa Luxembourg recueillis dans ce volume détromperont ceux qui pensent ainsi.

À leur lecture, on se rendra compte que la question d’organisation, si éloignée qu’elle paraisse à première vue de toute considération de doctrine, se lie intimement à l’ensemble des idées du socialisme scientifique.

La fameuse phrase de Marx : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » n’est pas une simple formule destinée à l’agitation. Elle renferme la quintessence de ce qui distingue le socialisme scientifique du socialisme utopique : personne, nul philanthrope et nul dictateur — si excellentes que puissent être leurs intentions — ne peut offrir le socialisme aux travailleurs sur un plateau. Ils doivent le conquérir eux-mêmes, et pour le conquérir, le courage et la bravoure ne suffisent pas, ni la croyance aux promesses socialistes d’un programme démagogique (il y eut, parmi ceux qui portèrent Hitler au pouvoir, d’innombrables gens qui prenaient au sérieux le national-SOCIALISME !) ; au courage et à la bravoure doivent se joindre, non la croyance et la mystique, mais le savoir et l’éducation. Tant que la grande masse n’aura pas ce savoir et cette éducation, elle pourra faire autant de révolutions que l’on voudra, ces révolutions ne seront pas socialistes et n’aboutiront pas au socialisme, même si des socialistes les dirigent.