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LIV
PRÉFACE

ce qui va finir ? Le monde est mortel, et les temps sont accomplis. On reconnaît là cet affaissement morbide qui a tant contribué à la rapide propagation du christianisme, culte de l’extase passive, de l’énervante humilité. Lucrèce le matérialiste fut donc, en quelque sorte, mais par la faute de son époque, un des précurseurs de Jésus. Mais ce qu’il avait de chrétien a passé. Il nous lègue sa puissante raison et ses intuitions sublimes, pour en finir avec ce qui reste de chrétien dans le monde.

Ainsi, éternelle et infinie coexistence de la matière et de la force : le mouvement et le milieu proclamés pères des formes inorganiques et vivantes ; les rapports et les faits, accidents et résultats, soigneusement distingués des réalités substantielles ; la loi de sélection et l’évolution des êtres clairement exposées et affirmées sans ambages ; ainsi, dans le domaine intellectuel et moral, la valeur des sens établie : l’âme, sinon expliquée, du moins réduite aux conditions de toute substance organisée ; la terreur de la mort bannie ; l’immortalité, la providence, les dieux et toutes les superfétations des mysticismes et des métaphysiques écartés, dissipés, pulvérisés, et la terre livrée à l’activité humaine. Voilà les enseignements rassemblés en corps de doctrine par le matérialisme antique et presque tous encore acceptés en principe par la science moderne. On peut dire que Lucrèce a embrassé d’un coup d’œil juste tout le champ que nous fouillons en détail avec moins de chances d’erreurs partielles. Nous avançons, mais dans le même