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XLI
PRÉFACE

ont été attachés solidement à l’épaule, et les mains, ces deux servantes, pendent à nos côtés, pour que nous puissions satisfaire aux nécessités de la vie ; et ainsi de suite. » Rien dans notre corps ne s’est produit en vue de l’usage que nous en faisons. C’est l’existence du membre qui en engendre l’emploi. Ni vue avant les yeux, ni parole avant la langue. Bien plutôt penserais-je que la langue a de beaucoup précédé le langage, et les oreilles l’ouïe, et tous nos membres enfin le service que nous en tirons. Non, leur usage n’a pas été la raison de leur origine ! etc. (IV, 821-855).

Le premier et nécessaire office des membres dont l’homme est pourvu, c’est de lui certifier l’existence des corps qui l’entourent, et, par suite, sa propre identité. Il ne s’attarde pas à l’oiseuse question de la certitude, il n’imite pas ces abstracteurs de quintessence qui se demandent gravement s’il y a quelque chose. Les sens ne peuvent être récusés. S’ils ne sont pas véridiques, la raison, qui tout entière vient d’eux, ne peut être que fausse (IV, 480-487) :


En somme, c’est des sens que la raison procède.
S’ils sont faux, elle est fausse, et croule sans remède.
 

Lucrèce ignore presque absolument l’anatomie ; il serait donc absurde de lui demander une exposition exacte des opérations sensorielles ; mais, assuré que les mauvaises ou bizarres explications de certains phénomènes ne fausseront point son jugement sur le caractère et le sens des faits, on peut se laisser aller