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LUCRÈCE


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Nous sommes de ceux qui, avec Voltaire et nos aïeux des dix-septième et dix-huitième siècles, croient fermement à l’efficacité de la traduction en vers, à son excellence même, si elle est traitée magistralement. Il faut en effet que le poète traducteur, sans être nécessairement l’égal de celui qu’il interprète, soit autorisé à engager et à soutenir la lutte par un talent personnel déjà mis à l’épreuve et fertile en ressources. Le discrédit momentané de la traduction en vers n’est venu que de la multitude de rimailleurs qui usurpent ce noble et fécond exercice. Que les amateurs fassent grâce aux maîtres qu’ils défigurent. C’est, au contraire, en même temps qu’un travail fructueux pour le public, un véritable profit pour les poètes d’un grand talent que ce commerce de plusieurs années avec le génie classique dont ils serrent de près les beautés. C’est pour leur style une gymnastique assouplissante et fortifiante ; c’est aussi pour leur inspiration, qui pourrait languir et s’épuiser par l’abus des compositions personnelles et le péril des redites, une précieuse occasion de renouvellement continu, comme une longue visite aux sources rajeunissantes, à l’éternelle fontaine de Jouvence.

C’est ainsi que nous voyons avec un grand plaisir M. André Lefèvre, l’un des trois ou quatre poètes les plus justement accrédités de la nouvelle génération, nous apporter une traduction complète de Lucrèce, œuvre de veilles prolongées et d’énergique labeur. Ce poète original, qui, en même temps, est un érudit et un linguiste, a depuis longtemps donné la mesure d’un talent sérieux et fort dans ses recueils de la Flûte de Pan, la Lyre intime, l’Epopée terrestre ; ce jeune maître que Sainte-Beuve et Théophile Gautier ont mis au premier rang dans son art, était admirablement préparé pour affronter avec succès une semblable entreprise. Car dans ses poésies d’invention André Lefèvre avait prouvé qu’il possédait tous les secrets de notre langue poétique, secrets de rythme, d’harmonie, et qu’il