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voiler les mystères et de nous signaler les grandeurs d’une œuvre de premier ordre. Ajoutons que, dans l’intérêt bien compris du spiritualisme, il faut se réjouir de voir Lucrèce enfin accessible à tous, car l’adversaire qui se présente en plein soleil est moins redoutable que celui qui demeure enveloppé d’épais nuages.

La parenté qui, à travers les âges, rapproche M. Lefèvre de Lucrèce et qui se marque avec une virile franchise dans l’excellente notice placée en tête du volume, est une des meilleures garanties de fidélité, de pénétration que l’on puisse rencontrer. Lucrèce, en effet, n’est nullement le poète des Morceaux choisis. Il veut être traduit tout d’une pièce dans sa continuité et dans sa teneur. Sans doute il y a chez lui des passages éclatants, mais ces passages tiennent au fond même de l’œuvre. Ils ne sont ni plaqués ni rapportés. Ne voir et ne reproduire qu’eux, ce serait faire acte de légèreté, montrer que le sens du poëme échappe, et que l’on se soucie peu de le comprendre. Rien de pareil chez M. André Lefèvre.

Le traducteur, justement remarqué, des Bucoliques, l’auteur du recueil original et fort intitulé la Flûle de Pan, le rédacteur trop hardi et trop absolu, selon nous, mais toujours loyal, de la Pensée nouvelle, a voulu traduire la Nature des Choses selon l’esprit d’unité dans lequel ce vaste poëme a été composé. Il n’a pas glissé sur les développements systématiques pour réserver son énergie et ses soins aux parties voyantes, aux sommets lumineux.

L’avantage de ce procédé, quand il est employé par un homme compétent et consciencieux, est inconstestable. Le succès doit en être évidemment la récompense. Il y a deux manières de lire une traduction, surtout une traduction en vers : on peut la comparer avec le texte en se plaçant au point de vue, très respectable assurément, de l’exactitude littérale ; on peut également, si l’on veut juger de l’effet d’ensemble, lire la traduction sans tenir compte du texte et comme on ferait de l’œuvre mère. Résiste-t-elle à cette seconde épreuve ? Produit-elle sur vous une vive et durable impression, qui vous fait un instant oublier l’original pour l’interprète ou plutôt qui vous les montre étroitement mêlés l’un à l’autre ? Tenez-la pour bonne et de qualité supérieure. Eh bien ! la traduction de la Nature des Choses par M. André Lefèvre triomphe parfaitement de cette épreuve décisive. Elle se fait lire comme une œuvre, non pas de reflet et d’imitation, mais de premier jet et de création spontanée.

La versification de M. Lefèvre est savante. Le poète emploie des coupes hardies, variées et généralement très heureuses. Sa diction,