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4 Avril 1876.


Monsieur,


Je vous remercie de la bonne pensée que vous avez eue de m’offrir votre traduction de Lucrèce. Personne peut-être n’a été plus curieux que moi de connaître votre grand et difficile ouvrage, dont quelques fragments publiés m’avaient déjà révélé le rare mérite. Aussi je viens de le lire avec un vif empressement et le plus nourrissant plaisir. Je n’ai pas eu de peine à remarquer que vous avez fait une étude sérieuse du texte, et si profonde que votre traduction pourra, sur certains points, servir de commentaire. Aussi vos vers sont-ils pleins et fermes et se ramassent pour mieux étreindre le sens. Ce souci de l’exactitude leur donne tout d’abord du crédit et un charme sévère, le lecteur se sentant comme envahi par la pensée même de Lucrèce. Quant à votre art, il est d’un poète qui sait à son gré assouplir la langue. Vous trouvez l’expression que vous cherchez ; il en est d’autres qui viennent à vous et ce sont les plus heureuses. Il y a un grand nombre de vers qui se sont faits tout seuls, de ces vers deux fois charmants pour le poète, parce qu’ils ne lui coûtent rien et qu’ils sont d’ordinaire les meilleurs. Là où vous êtes obligé, par le texte, de faire des tours de force et d’habileté, vous parvenez à la concision brillante. C’est la qualité qu’avec raison vous avez le plus recherchée et elle ne vous a pas fait défaut. Veuillez agréer, Monsieur, mes compliments que j’ai grand plaisir à vous offrir au moment où je suis encore tout plein de ma lecture.

Laissez-moi pourtant faire une petite réclamation en faveur de M. Patin, que vous ne nommez qu’en passant et, ce semble, avec quelque dédain. Il a rendu à Lucrèce de vrais services. Avant lui on n’avait rien dit que de superficiel sur le grand poète. Fontanes a bien essayé de lui faire les honneurs, mais, ce qui prouve l’ignorance du temps, il lui reproche les sons étrusques de sa poésie. Villemain çà et là, dans ses livres, a donné quelques fanfares pour le célébrer. Mais c’est M. Patin qui, pendant trente ans, a expliqué dans son cours Lucrèce, qu’il savait par cœur, qu’il admirait, qu’il expliquait plus