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DE LA NATURE DES CHOSES

Hélas ! trop souvent pris dans ce lien de mort,
L’innocent, l’homme au cœur sans reproche, se tord,
Brusquement abattu par la foudre, et proteste
Contre l’aveuglement du tourbillon céleste ?

Pourquoi sur un désert user leur force en vain ?
Pour exercer leur bras ? Pour affermir leur main ?
Oui : pourquoi laisser perdre et s’émousser en terre
L’arme du dieu tonnant ? Et, Jupiter leur père,
Que ne la garde-t-il contre ses ennemis ?
Nous dira-t-il pourquoi ses foudres endormis
Ne résonnent jamais dans un ciel sans nuage ?
Pour descendre, attend-il que l’aquilon étage
Ces degrés de vapeurs, allongés tout exprès ?
Croit-il ajuster mieux en visant de plus près ?
Alors, pourquoi sévir sur les masses profondes
Des mers, pourquoi s’en prendre aux champs flottants des ondes ?
Que ne fait-il, s’il veut qu’on y puisse échapper,
420En sorte que l’on voie où le coup doit frapper ?
S’il entend nous surprendre, à quoi bon ces ténèbres,
Ces rumeurs, ces fracas lointains, signes funèbres
Qui nous disent de fuir et font assez juger
En quelle région se forme le danger ?
Puis d’où vient, fait constant, je pense, et qui s’impose,
Que la foudre en cent lieux à la même heure éclose ?
Pour tant d’explosions suffit-il d’un seul bras ?
Mais la pluie aussi baigne à la fois cent climats.
C’est le concours fortuit de substances connues
Qui fait jaillir les eaux ou les flammes des nues.
Enfin, pourquoi frapper les saints temples des dieux,