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XXVI
PRÉFACE

en rapports, propriétés et résultats de ce qui est. Lucrèce fait très brièvement et très justement la part de « cette autre nature des choses » (I, 433). Le positivisme n’a pas inventé l’immanence, mot plus terrible que la chose. Lucrèce nomme immanent ou inhérent tout ce qui ne peut être isolé d’un corps sans cesser d’être. Et c’est précisément le cas des propriétés physiques et des accidents moraux. Voici le passage (I, 452-464) :


J’appelle qualité ce que nulle puissance
N’ôterait d’un objet sans en briser l’essence :
La chaleur dans le feu, le poids dans le rocher,
L’humidité dans l’eau, dans le corps le toucher,
Dans le Vide absolu la pleine inconsistance.
Tout ce dont la venue aussi bien que l’absence
Laisse subsister l’être en son intégrité,
Comme discorde et paix, servage et liberté,
Opulence et misère, à bon droit je l’appelle
Résultat, circonstance, affaire accidentelle.
Le temps, par soi, n’est pas ; c’est la fuite des ans ;
Ce qui fut ou sera lui donne seul un sens.
Le temps, qui l’a touché ? Peux-tu séparer l’heure
De la réalité qui marche ou qui demeure ?
 

Et ici le poëte, en d’admirables vers, nous force d’avouer que, s’il n’y avait eu ni corps, ni sol, ni cités, jamais un Paris ne se fût enflammé pour une Hélène, jamais le cheval de bois n’eût causé la ruine d’Ilion.


Il faut donc refuser aux faits, simples rapports,
Cette réalité qu’ont le Vide et les corps ;
Manifestations du mouvement écloses,
Ce sont des accidents de l’espace et des choses.
 

Il nous semble que cette distinction entre le monde