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DE LA NATURE DES CHOSES

Donc, sitôt que les bois, la cause importe peu,
Jusques à la racine attaqués par le feu,
Avaient séché du sol les veines embrasées,
Dans les dépressions coulaient extravasées
Des rivières de plomb, d’airain, d’or ou d’argent.
Les nappes de métal brillaient en se figeant.
L’homme, tenté d’abord par leurs couleurs riantes,
Se plut à recueillir les gouttes chatoyantes ;
Puis, les voyant garder la figure et le pli
1320Du moule qu’en mourant leurs flots avaient rempli,
Il se prit à penser qu’une chaleur intense
Saurait dans un contour faire entrer leur substance,
Et qu’en lame étirés sous le choc des marteaux,
Amincis, aiguisés en pointes, les métaux
Fourniraient des outils, de quoi fendre les branches,
Façonner, équarrir les poutres et les planches,
De quoi tailler, fouir, perforer et creuser.

D’abord, sans préférence, il tenta d’aiguiser
L’argent et même l’or comme l’airain rigide ;
Mais en vain : sous l’effort, leur grain trop peu solide
Du premier coup plia, rebelle aux durs travaux ;
Et l’airain commença d’éclipser ses rivaux ;
L’or émoussé gisait inutile. L’or règne
Maintenant ; maintenant c’est l’airain qu’on dédaigne.
Ainsi le temps aux biens donne et reprend leur prix.
Ce qui fut honoré rentre dans le mépris ;
Ce qu’on négligeait monte et brille au rang suprême :
C’est le dieu qu’on encense et le trésor qu’on aime,
Le maître des humains, le prodige sans pair.