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LIVRE CINQUIÈME

Astres, lune, soleil sont d’heure en heure accrus
De feux nés l’un de l’autre, à leur tour disparus.
Ce ne sont donc pas là des corps inaltérables.

Le rocher même cède aux ans irréparables.
Vois pourrir le granit vaincu, tomber les tours ;
Vois les dieux impuissants contre le flot des jours ;
Sous la loi du destin, vois fléchir abattues
Leurs demeures de marbre et jusqu’à leurs statues :
La nature se rit de leur divinité.
Nos monuments aussi tremblent de vétusté
Et d’une brusque chute en poussière s’écroulent.
De la cime des monts les rocs arrachés roulent,
Lorsque l’effort du temps détermine leur fin
340Inévitable. Eh quoi ! tomberaient-ils soudain,
Sans lutte, s’ils avaient pu subir sans dommage,
Depuis des milliers d’ans, tous les assauts de l’âge ?

Ce vaste espace enfin qui, dessus et dessous,
Embrasse notre terre et règne autour de nous,
Qui tire, nous dit-on, les êtres de lui-même
Et les recueille morts, ce créateur suprême
Ne peut pas ne pas être un corps né pour mourir.
Il se donne en créant, donc il doit s’amoindrir.
Seul, ce qui rentre en lui restaure sa substance.

Si la terre et son ciel n’ont pas eu de naissance,
S’ils ont toujours été, d’où vient que les anciens,
Avant la Thébaïde et les malheurs troyens,
D’aucun fait dans leurs chants n’ont gardé la mémoire ?