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DE LA NATURE DES CHOSES

L’enfant, quand la Nature aux rivages du monde
Le dépose, arraché d’un ventre endolori,
Gît sur la terre, nu, sans armes, sans abri,
Sans parole : et, du seuil de cette vie obscure,
Par un vagissement lugubre il inaugure
Le long cercle de maux que lui promet le sort.
Heureux les animaux des champs ! Nés sans effort,
Ils croissent sans hochets et sans tendres nourrices
Dont le babil sans fin apaise leurs caprices.
Les voyons-nous chercher selon l’état de l’air
Des vêtements nouveaux ? Ont-ils besoin du fer
Ou des remparts altiers pour garder leurs richesses ?
La terre, toute à tous, les comble de largesses,
Et l’active Nature a travaillé pour eux.

Si la masse terrestre et les flots vaporeux
De la flamme ou de l’air diaphane, si l’onde
Et tout ce dont est fait le tissu de ce monde
Sont des combinaisons de corps nés pour mourir,
260L’univers naît comme eux et comme eux doit périr.
Quoi ! de constantes lois que rien n’a démenties
Condamnent le corps même au sort de ses parties ;
La naissance et la mort sont communes entre eux :
Et moi, lorsque je vois ces membres monstrueux
S’épuiser et renaître, il me faudrait donc taire
Le destin assuré du ciel et de la terre,
Leur naissance passée et leur future mort ?
Ne dis pas, Memmius, que je préjuge à tort
Le sort de l’air, du feu, de la terre et de l’onde,
Leur nature mortelle, et la perte féconde