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LIVRE CINQUIÈME

Règnent impunément aux profondeurs des bois.
Qu’importe ? C’est à nous d’éviter leur demeure.
Mais si nos cœurs n’ont pas la paix intérieure,
Qu’ils sont mal défendus ! Quels combats, quels dangers,
Quels obstinés soucis les tiennent assiégés !
Que d’âpres passions, que d’angoisses les rongent,
Luxure, orgueil, colère ! En quels gouffres nous plongent
Les ivresses du faste et de l’oisiveté !
Et lui, l’homme divin dont le verbe a dompté
Ces monstres de l’esprit, a banni ces alarmes,
Vainqueur par l’éloquence et non point par les armes,
Celui-là n’aurait pas mérité des autels,
Lui, surtout, lui qui parle en dieu des immortels,
Qui nous dévoile enfin la Nature des Choses !

La trace de ses pas m’a guidé vers les causes ;
Sa voix m’a révélé le pacte créateur,
60La mesure et la loi de l’âge destructeur,
Cercle à jamais fermé que nul essor ne brise.
Je t’ai fait voir d’abord l’âme, à ces lois soumise,
Naissant avec le corps, sans pouvoir plus que lui
Survivre indestructible au lien qu’elle a fui.
J’ai, sans rémission, convaincu de mensonge
Ces fantômes des morts que nous voyons en songe.
L’ordre que j’ai suivi m’amène à te montrer
Que le monde a pu naître et qu’il ne peut durer ;
Que c’est un corps mortel ; qu’un jeu de la matière
Constitua les eaux, la terre et la lumière ;
Quel concours d’éléments a lancé dans les cieux
Le globe de la lune et l’astre radieux ;