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XIX
PRÉFACE

leçon ingénieuse, condamnation implicite de nos discordes civiles ? » Lucrèce, en vérité, pouvait-il être mieux inspiré ? Du même coup il annonce la doctrine qu’il va exposer et la place sous la protection du sentiment national. C’est là une flatterie heureuse et qui ne compromet point la dignité de la science.

Après ce début, Lucrèce est fort à l’aise pour mettre les dieux à leur place, dans la sphère des fantaisies allégoriques. « Quant aux dieux, » nous dit-il dès le premier chant, et c’est bien lui qui parle, quoi qu’en pense la soupçonneuse érudition des philologues allemands (Bernays entre autres),


Quant aux dieux, hors du monde et des choses humaines,
La loi de leur nature isole leurs domaines
Dans la suprême paix de l’immortalité.
Tout péril est absent de leur félicité.
Satisfaits de leurs biens, ils n’en cherchent pas d’autres,
Et, libres de tous maux, ils ignorent les nôtres.
Ni vice ni vertu, ni pitié ni courroux
N’ont prise sur les dieux : ils sont trop loin de nous !
 

Il attribue à la terreur et à l’ignorance l’opinion que le monde est l’œuvre d’une volonté divine (I, 150-160) ; et il ajoute : « Dès que nous aurons vu que rien ne peut être créé de rien, nous concevrons mieux d’où peut procéder chaque chose et comment tout se produit sans le concours des dieux ; »


Au seuil de la doctrine est assis ce principe :
Rien n’est sorti de rien ; rien n’est l’œuvre des dieux.
 

Il y revient sans cesse (VI, 53) :


Seule, aux yeux des mortels, l’ignorance des causes
Transporte aux dieux le sceptre et l’empire des choses.