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DE LA NATURE DES CHOSES

Deux êtres enivrés de leur jeunesse en fleur,
Pour le champ féminin prépare la charrue,
Le couple entrelacé dans l’étreinte se rue,
Et souffles bouche à bouche et salives et dents
1140Se mêlent confondus en des baisers ardents.
Que se ravissent-ils ? Qui, se donnant soi-même,
Tout entier, corps pour corps, s’en va dans ce qu’il aime ?
C’est là le but, pourtant, le prix de tant d’efforts.
À quoi bon ces liens avides, ces transports,
Ces nerfs liquéfiés par l’intime secousse ?
Sans doute, le désir pour un moment s’émousse
Après l’éruption de l’amoureux torrent ;
Mais leur accès revient, la rage les reprend
D’avoir enfin pour eux l’objet qui les possède.
C’est un ulcère sourd, un poison sans remède,
Qui les mine et les ronge en des tourments sans fin.

Puis c’est l’épuisement, les affres de la faim,
C’est la vie au sourcil d’un tyran suspendue ;
La fortune qui croule en usures fondue ;
C’est l’oubli des devoirs ; c’est l’honneur aux abois
Qui souffre. Les onguents, sans doute, sont de choix ;
Les chaussures toujours viennent de Sicyone
Et semblent rire aux pieds ; l’or en cercle rayonne,
Enchâssant les feux verts d’émeraudes sans prix ;
1160Les tissus couleur d’eau sont usés et flétris
À boire les sueurs de Vénus triomphante ;
Et ces biens paternels qu’un long travail enfante
Deviennent bracelets, coiffures, et s’en vont
En étoffes de Malte ou de Cos. Ce ne sont